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Le Bénin, nouvelle cible du jihadisme ?
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Par Baudouin Aubert

 

La mort d’un ancien militaire français dans les attaques qui ont frappé le nord du Bénin les 8 et 10 février confirme l’accroissement de la menace terroriste dans ce pays, considéré jusqu’alors comme relativement préservé. Ces attaques témoignent d’une sanctuarisation jihadiste dans le parc du W, signalée par certains observateurs qui voyaient dans la frontière burkinabé une porte d’entrée des jihadistes vers le golfe de Guinée[1]. Cependant ces attaques ont eu plusieurs précédents.

 

En mai 2019, deux touristes Français sont enlevés dans le parc naturel de la Pendjari, à la frontière avec le Burkina Faso. En février 2020, un poste de police près de Banikoara, également situé à la frontière avec le Burkina-Faso, est attaqué. A la fin de l’année 2021 deux attaques jihadistes sont identifiées au nord du Bénin, faisant trois morts dont deux des forces armées béninoises et conduisant au renforcement de la présence militaire dans le département de l’Alibori. En janvier 2022, deux soldats béninois décèdent après que leur véhicule avait percuté un IED (engin explosif improvisé) dans le département de l’Akatora au nord-ouest du Bénin[2], à la faveur de la fin de la saison des pluies.

© Carte réalisée par Baudouin Aubert

 

Cette attaque s’inscrit dans la progression de la menace jihadiste, au point qu’elle a conduit à une réaction forte du gouvernement béninois. Ces attaques sont localisées dans une zone frontalière de trois pays, ciblés par le jihadisme : le Burkina-Faso, le Niger et le Nigéria. L’enlèvement de 2019 a été une prise de conscience pour le pays qui se considérait encore comme épargné, et en 2021 la multiplication des affrontements directs et l’identification répétée de mouvements sur le territoire ont conduit les observateurs à qualifier le Bénin de « base arrière » du terrorisme au Sahel. Les attaques de février 2022, les plus meurtrières connues par le Bénin à ce jour, attestent de l’implantation jihadiste dans cette zone dite des « trois points ». En effet les carences administratives, les conflits ethniques et les difficultés d’accès pour les Forces armées béninoises forment un terreau favorable à la diffusion du jihadisme.

 

Tout d’abord les départements des deux grands parcs naturels du W et de la Pendjari souffrent historiquement d’un manque de contrôle des autorités. A ce titre, les membres de l’ONG Afrikan Parks Network, dont sont issues les récentes victimes des attaques, sont chargés depuis 2017 de la lutte anti-terroriste dans les parcs du W et de la Pendjari[3]. Les défaillances de la gouvernance dans cette région ont été déjà signalées par un Rapport de l’étude sur la pauvreté et les privations de l’enfant au Bénin produit par l’UNICEF en 2016. À titre d’exemple, 65% des enfants du département de l’Alibari n’étaient pas scolarisés en 2017. L’économie de ces deux départements repose sur l’agriculture et l’élevage traditionnel, dans des espaces de savane et de montagne qui contrastent avec le dynamisme et la densité de population du Bénin méridional. Les départements de l’Acatora et de l’Alibari comptent en moyenne 33 habitants par km2, ce qui en fait les départements les moins peuplés du Bénin.

 

Tous ces éléments vont dans le sens d’une déprise démographique, favorable à l’épanouissement de structures socio-politiques parallèles. Il faut aussi noter que cet espace frontalier est très exposé aux migrations de population et de transhumance[4], difficiles à contrôler dans la mesure où les autorités burkinabés ont déserté la frontière, abandonnant la gestion des flux aux gardes forestiers et militaires béninois. En effet on peut identifier deux principaux groupes jihadistes qui étendent leur influence au nord du Bénin[5]. Venant du nord-ouest du Burkina Faso, le JNIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) recrute majoritairement au sein des populations peuls. Venant du nord du pays, l’EIGS (Etat islamique au grand Sahara) étend son influence depuis le Niger. Dans le cas spécifique du nord du Bénin, la tendance sahélienne au conflit entre éleveurs et agriculteurs existe, notamment entre les peuls Bittinkés et les populations Dendis. Les populations musulmanes peules du nord sont défavorisées et jeunes, elles constituent donc un vivier de volontaires et de relais du jihadisme.

 

L’accord de coopération militaire signé en décembre 2021 par le Bénin et la Russie est le seul signe officiel de rapprochement entre les deux pays. Comme pour les autres pays d’Afrique occidentale, la perspective d’un rapprochement avec la Russie semble réjouir une partie de la population, qui voit dans la présence française au Sahel l’expression d’une forme de néo-colonialisme. Aussi, à l’heure de la fin de Barkhane et de la force Takuba, le Sommet Union européenne – Union africaine tenu les 17 et 18 février 2022, aurait pu être l’occasion d’un rééquilibrage des intérêts français dans la région, alors que la France a annoncé l’élimination de 40 jihadistes impliqués dans les attaques de février. Ce sommet a été l’occasion pour Emmanuel Macron de réaffirmer son incertitude quant à l’avenir de l’Afrique de l’ouest sans Barkhane, mais il semble que la question de la réarticulation des forces françaises dans la région n’ait pas encore été arrêtée dans le détail ; si un entretien privé a sans doute eu lieu entre le président béninois Patrice Talon et Emmanuel Macron, les discussions publiques ont porté sur la pandémie de COVID-19. Si les forces armées béninoises témoignent d’une importante résilience, l’intensification des attaques et le recours croissant aux IED interrogent la capacité de Cotonou à tenir encore longtemps seule sa frontière, renouvelant l’importance du régionalisme sécuritaire pour le pays, et ses alliés historiques, au premier rang desquelles la France se tient. Enfin, l’initiative d’Accra lancée en 2017 par le Bénin, le Ghana, le Togo, la Côte-d’Ivoire et le Burkina Faso et l’Opération Koundjoaré entre le Togo et le Bénin sont toutes deux significatives d’un progrès dans la coopération pour la sécurité et le renseignement dans la lutte contre les groupes armés terroristes.

 

[1] Maurice Thantan , « Bénin : On ne peut plus nier la réalité du phénomène jihadiste », Jeune Afrique, 15  février 2022.

[2] Victor Depois, « Golfe de Guinée : le Bénin est-il une cible privilégiée des attaques djihadistes ? », TV5 Monde, 7 janvier 2022.

[3] Olivier Duris, « Bénin, ces défenseurs de la nature devenus des combattants anti djihadistes », Mondafrique,  19 février 2022.

[4] Service Allemand de Développement (DED) , « Les conflits liés à la transhumance transfrontalière entre le  Niger, le Burkina Faso et le Bénin », octobre 2006.

[5] Fondation Konrad-Adenauer, «North of the countries of the Gulf of Guinea, The new frontier for jihadist  groups? », 2021.

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