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Un cloud de confiance ?
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Par Jérémie Ezerzer

Mercredi 6 octobre, Thales et Google Cloud ont publié un communiqué de presse annonçant la mise en place d’un partenariat stratégique autour du développement d’un service de cloud[1]. Celui-ci respecterait le cadre “cloud de confiance” défini par le gouvernement au mois de mai dernier. Ce partenariat doit se traduire par la création d’une entreprise de droit français, détenue majoritairement par Thales. A travers ce partenariat, ce sont les craintes de nombreux observateurs qui se concrétisent, c’est-à-dire une porte ouverte aux GAFAM plutôt qu’une mise en valeur des acteurs nationaux.

Si les critiques des acteurs du secteur ont été nombreuses depuis l’annonce de ce partenariat, elles ne sont pas adressées spécifiquement à Google cloud et Thales. Elles visent avant tout le label cloud de confiance lui-même. Celui-ci permet la collaboration entre des acteurs français et des acteurs étrangers pour la création d’un cloud sécurisé, sous réserve que les données soient stockées en France et détenues par une société de droit français dont l’actionnaire majoritaire est un acteur français. Cette manœuvre permettrait en théorie de ne pas être soumis au Cloud Act, norme qui permet aux autorités américaines d’avoir accès aux données hébergées par des sociétés américaines même si celles-ci sont stockées à l’étranger et appartiennent à des entreprises étrangères. Cependant, les seules garanties que ce label empêchera bel et bien les autorités américaines d’avoir accès aux données stockées sur un cloud de confiance sont les promesses de Cédric O, secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques. En effet, il n’a pas su donner la preuve de l’effectivité de cette mesure face aux lois extraterritoriales états-uniennes et chinoises.

Le dispositif cloud de confiance est une réponse directe à l’échec cuisant du “cloud souverain”. Mis en place en 2012, il avait vu Orange et Thales se rapprocher pour créer Cloudwatt. Cette structure avait pour double objectif de placer la France dans la course technologique du stockage de données en ligne et d’offrir aux entreprises et aux administrations une solution sécurisée.  Il était apparu que le retard technologique des acteurs français ne leur permettait pas de rivaliser avec les géants américains. Orange a donc fermé ce service en janvier 2020[2].  Les acteurs français portent encore le poids de cet échec auprès des décideurs politiques. En effet, lors de la présentation du plan France 2030, Emmanuel Macron a déclaré : “il est faux de se dire que nous aurons un cloud totalement souverain dans cinq ans, parce qu’on a pris beaucoup de retard”.[3]

Finalement, le cloud de confiance est un aveu de faiblesse du gouvernement français. Celui-ci préfère reconnaître le retard des entreprises françaises en matière de stockage d’informations en ligne plutôt que de s’obstiner à essayer de faire émerger des solutions françaises qui ne seraient pas à la hauteur. Ainsi, grâce au label cloud de confiance, les  administrations et les entreprises françaises pourront bénéficier de grandes garanties en matière de sécurité et de confidentialité sans avoir à faire de compromis sur la performance.

Cependant,  alors qu’il est vrai que les GAFAM ont imposé leur suprématie sur le marché du cloud, il est faux de supposer que l’offre française est aussi faible que ce qu’elle était en  2012. Des entreprises comme OVH se sont fait une place sur ce marché hautement compétitif. Cela est d’autant plus notable que OVH est parvenu à créer une offre de cloud souverain grâce à un partenariat avec Whaller[4]. Alain Garnier, président de l’entreprise informatique Jamespot et porte-parole du collectif des fournisseurs de logiciels, considère que ces annonces du gouvernement desservent les acteurs français « Nous nous battions déjà contre la perception erronée qu’il n’y a pas d’alternatives crédibles et solides en France aux solutions des GAFAM. Et l’État nous a enfoncés avec sa stratégie « cloud de confiance » en faisant la promotion d’un modèle basé sur la création de coentreprises entre un américain et un français, au mépris de la filière nationale et d’une véritable souveraineté technologique »[5].  Pour les acteurs du secteur, le label “cloud de confiance” rend caduque la possibilité de voir se développer une offre de cloud souverain. En effet, ce label ressemble à une invitation adressée aux GAFAM de se saisir d’une partie du marché qui leur résistait encore.

Ce partenariat soulève donc deux questions. La première concerne les garanties de sécurité qu’offre le cloud de confiance. Si le label se montre insuffisant pour se prémunir contre les effets du Cloud Act, alors il ne sera pas une solution pour les administrations et les entreprises françaises : un cloud de confiance auquel personne ne ferait confiance présente peu d’utilité. La seconde question est celle de la place des acteurs français proposant un service de cloud. Ceux-ci sont-ils réellement en capacité de répondre aux attentes des administrations sur le plan de la sécurité et celui de l’efficacité ? Si c’est le cas, il serait regrettable de se satisfaire d’un cloud de confiance dont les garanties en matière de sécurité sont incertaines alors qu’un cloud souverain semble atteignable.


[1] Thales et Google Cloud annoncent un partenariat stratégique pour développer conjointement un « Cloud de Confiance » en France, 6 octobre 2021 [communiqué de presse]. Disponible sur : https://www.thalesgroup.com/fr/group/investisseurs/press_release/thales-et-google-cloud-annoncent-partenariat-strategique
[2] Dèbes, F., Une page se tourne pour le cloud souverain français, Les Echos, 1er août 2019. Disponible sur : https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/une-page-se-tourne-pour-le-cloud-souverain-francais-1118112.
[3] Discours du Président de la République à l’occasion de la présentation du plan France 2030,
12 octobre 2021.
[4] Rolland, S., Cloud de confiance : Whaller et OVHCloud s’allient pour proposer enfin une solution 100% souveraine, La Tribune, 13 octobre 2021. Disponible sur : https://www.latribune.fr/technos-medias/internet/cloud-de-confiance-whaller-et-ovhcloud-s-allient-pour-proposer-enfin-une-solution-100-souveraine-894235.html
[5] Rolland, S., Cloud souverain : le coup de gueule de huit entreprises françaises contre l’État. La Tribune,  19 octobre 2021. Disponible sur : https://www.latribune.fr/technos-medias/internet/cloud-souverain-huit-entreprises-francaises-se-liguent-contre-microsoft-365-894672.html
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