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Netanyahou, le Hamas, grands vainqueurs du conflit israélo-palestinien en 2021
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Par Cyril Blanchard

 

Jeudi 20 mai au soir, un cessez-le-feu a été signé entre Israël et le Hamas, mettant un terme au conflit qui avait débuté 11 jours auparavant. Plus de 250 victimes étaient à dénombrer, majoritairement palestiniennes. Une déflagration de violence de plus dans un conflit qui ne semble pas trouver d’issue.

Autant militairement que politiquement, les deux camps revendiquent la victoire. Effet d’annonce somme toute banale dans un conflit aboutissant à un cessez-le-feu sans qu’un des deux belligérants ne soit parvenu à un avantage décisif. Mais en y regardant de plus près, plusieurs éléments semblent justifier cette proclamation bilatérale d’un succès certes tout relatif.

 

Militairement, Israël a limité les dégâts, en interceptant 90% des projectiles. Le Hamas en a tiré environ 4 000 en 11 jours, une première. Pour déjouer la couverture prodiguée par l’Iron Dome, le Hamas, ainsi que le Jihad Islamique Palestinien via ses brigades Al-Quds, ont eu recours à une tactique de saturation[1]. En effet, les groupes ne sont pas sans savoir que la défense israélienne peut atteindre un point de rupture si trop de vecteurs sont employés, compliquant leur interception. Depuis 2007 donc, les attaques de roquettes se font par salves. Celles de 2021 ont été bien plus denses que celles des années précédentes, pour saturer les défenses avec des tirs nombreux et concentrés à des intervalles de temps réduits, permettant à quelques centaines de roquettes de passer à travers celles-ci[2]. De surcroît, Tel Aviv, jusqu’alors plutôt épargnée par les attaques du Hamas, a été particulièrement ciblée. Le soir du 10 avril, il semblerait que plus de roquettes aient été tirées sur Tel Aviv que pendant l’ensemble de la guerre de Gaza en 2014, qui avait duré près d’une cinquantaine de jours[3].

La distance des cibles du Hamas avec la Bande de Gaza et le nombre de vecteurs employés soulignent la dotation capacitaire du mouvement islamiste palestinien. Malgré les nombreuses opérations israéliennes contre les infrastructures du groupe, le nombre de roquettes tirées est sans équivoque sur sa logistique. Appuyé par des acteurs extérieurs, comme l’Iran, le Hamas a pu se doter d’un arsenal conséquent, avec des estimations, sûrement sous-évaluées, allant de 12 à 15 000 roquettes avant ce conflit, malgré les pertes causées par Tsahal[4]. Le Hamas semble donc résilient et adaptatif. Ses tirs ayant atteint plusieurs villes et Gaza n’ayant pas été envahie, le groupe a donc revendiqué la victoire dans cette épreuve de force.

 

Côté isralien, les représailles à ces tirs se sont effectuées par des frappes aériennes ou d’artillerie, touchant par moment des infrastructures civiles. L’objectif était de réduire les capacités militaires du Hamas. Le groupe aurait perdu plusieurs militants et officiers dans ces frappes et ses infrastructures auraient subi des dégâts selon l’armée israélienne, mais moins qu’escompté[5]. Par ailleurs, l’absence d’offensive terrestre, malgré une annonce – depuis démentie -, pourrait souligner la réticence à engager de nouveau des opérations de masse dans la bande de Gaza, après les pertes subies en 2014. Néanmoins, la plupart des roquettes ayant été interceptées et son bilan humain étant très faible, Israël a aussi revendiqué la victoire comme sienne.

Ce tableau militaire brosse donc le portrait de deux acteurs différents, revendiquant tout autant la victoire, au regard de leurs objectifs et de leur stratégie. Mais politiquement, les statures des belligérants sont encore plus évocatrices et semblent désigner nettement les vainqueurs.

 

Avec cette confrontation, le Hamas a raffermi sa position, notamment en éclipsant le Fatah de Mahmoud Abbas dans la résistance contre Israël. Par ailleurs, le soutien iranien s’est fait jour avec un appel de l’Ayatollah Khamenei au monde musulman pour aider la Palestine, et un message du porte-parole du ministère des Affaires étrangères iranien saluant la résistance contre Israël[6]. Autant aux niveaux local que régional et international, le mouvement, considéré terroriste par de nombreux pays, est de plus en plus perçu comme le fer de lance de la résistance palestinienne au sionisme, si ce n’est son seul acteur. Cette démonstration de soutien souligne aussi un autre point de succès du Hamas : rebattre les cartes dans la région alors qu’Israël était parvenu à une normalisation de ses relations avec plusieurs pays arabes ces derniers mois[7]. Cependant, le Hamas n’est pas le seul bénéficiaire de ces gains politiques. Côté israélien, Netanyahou atténue une situation compliquée pour lui, en évitant de passer devant la justice alors qu’il risquait de perdre son poste de Premier ministre face à l’incapacité de former un gouvernement[8], tout en se posant comme défenseur du pays contre des “terroristes”.  Ce ne sont donc pas la Palestine ou Israël qui en ressortent vainqueurs, mais le Hamas et Netanyahou.

 

Ainsi, bien que plusieurs voix se soient fait entendre à propos d’une solution à deux États, à l’instar du président des États-Unis Joe Biden, force est de constater que la situation actuelle semble difficilement s’y prêter : les deux principaux acteurs de ce conflit sont connus pour leur intransigeance et leurs politiques unilatérales. Or, ceux-ci viennent de sortir renforcés de cette confrontation, en témoigne la double revendication de la victoire. S’éloigne ainsi un peu plus l’espérance du règlement d’une crise débutée en 1948.

Concernant le cessez-le-feu établi, celui-ci semble bien fragile, alors que les tensions semblent se raviver malgré la médiation d’une délégation égyptienne cherchant à consolider cette trêve auprès du Hamas, de l’Autorité palestinienne et d’Israël. A cette initiative s’ajoute aussi la visite Mardi 25 mai, du secrétaire d’État des États-Unis Antony Blinken, qui s’est entretenu avec Benjamin Netanyahou et a rencontré Mahmoud Abbas[9]. La situation peut donc encore évoluer, sans que le Hamas ne soit forcément consulté.

 

 


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