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America’s back : quelle stratégie ?
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Par Salomé Sifaoui

What is new about the emerging world order is that, for the first time, the United States can neither withdraw from the world nor dominate it —Henry Kissinger, Diplomacy, 1994 (1)

 

Dans son discours d’investiture du 20 janvier dernier, le président démocrate Joe Biden affirmait « America is back » entendant ainsi replacer les États-Unis dans le monde. Après quatre ans de mandat Trump, marqué par une doctrine du retrait, la diffusion d’une pandémie et l’apparition d’une fracture politique majeure dans la société américaine, redevenir leader du monde est une affaire complexe nécessitant une stratégie inédite et conjoncturelle.

A l’aune des relations extérieures, Joe Biden est confronté à une relation sino-américaine très différente de celle que le président Obama a légué à l’administration Trump il y a quatre ans. Depuis, le pivot vers le pacifique est devenu central et unanime, exercé à travers plusieurs leviers : la guerre économique et la rivalité stratégique avec l’augmentation des moyens militaires chinois et les modifications d’emploi de la force américaine. 

Cet héritage a été rendu particulièrement difficile par la pandémie de la Covid-19, qui, constituant un défi majeur, peut représenter néanmoins une opportunité de rétablir le leadership américain. La politique étrangère se veut désormais être une politique d’influence américaine ou de contre-influence chinoise, du retour de la présence américaine par son soft power. Et cela passe notamment par la réaffirmation de l’innovation, de la démocratie et de l’aide au développement qui permettraient d’arrimer de nombreux pays autrement laissés à l’influence chinoise. Cette stratégie de contre-influence dépend dans une large mesure de l’attractivité du modèle américain. Ainsi, le rétablissement de ce leadership doit s’articuler autour de deux axes : l’aide au développement par des plans de diffusion des vaccins, la création d’un axe animé autour de la démocratie en dehors des organisations internationales pour exercer une contre-coercition face aux puissances rivales.

Il a été démontré que la stratégie de pression maximale utilisée sous le mandat Trump est tout aussi peu efficace que la politique de partenariat multilatéral menée sous Obama. En 2017, la National Security Strategy (NSS) établissait le développement du leadership américain à travers la concurrence stratégique. James Mattis, ancien secrétaire à la défense, évoquait à cet égard « si vous ne financez pas entièrement le département d’État, je dois en fin de compte acheter plus de munitions » (2) soulignant ainsi la nécessité de faire précéder les stratégies militaire et économique par une diplomatie cohérente. Le déficit commercial des États-Unis avec la Chine à la fin de l’administration Trump représente à peu près ce qu’il était à la fin de l’administration Obama. C’est donc par le retour à la diplomatie que doit se faire l’élaboration d’une stratégie de leadership.

Nous évoquions plus haut la réaffirmation de la démocratie comme valeur : de nombreux observateurs ont décrié cet argument qu’ils désignèrent comme hypocrite venant d’un pays lui-même instable dans sa démocratie. Par exemple, Emma Ashford, à l’Atlantic Council, écrivait « Des objectifs ambitieux de politique étrangère sont complètement déphasés par rapport à la réalité du dysfonctionnement politique et économique intérieur du pays ». (3) Certes, mais réparer la démocratie chez soi n’est pas incompatible avec la défense de la démocratie à l’étranger et ces deux dynamiques se renforcent mutuellement. Les nouvelles menaces notamment cyber touchant à la désinformation, aux ingérences politiques ou encore aux interdépendances économiques dangereuses ne peuvent être traitées que collectivement, sous l’impulsion de valeurs démocratiques. Joe Biden évoquait «la puissance de notre exemple plutôt que l’exemple de notre puissance », mais ces considérations ne peuvent inclure l’Amérique seule, qui ne serait pas suffisante pour contrer l’influence de la Chine ou de la Russie. Seule une coalition de pays réunis autour d’un même idéal peut fonctionner (4). Rappelons ainsi les mots de Joe Biden à la fin de l’année 2020 :  «Alors que nous sommes en concurrence avec la Chine et que nous tenons le gouvernement chinois responsable de ses abus sur le commerce, la technologie, les droits de l’homme et d’autres fronts, notre position sera beaucoup plus forte lorsque nous construirons des coalitions de partenaires et d’alliés partageant les mêmes idées pour faire cause commune avec nous dans la défense de nos intérêts et valeurs communs » . (5)

En premier lieu, il est nécessaire pour les États-Unis d’affirmer le bon fonctionnement de la production de vaccins, afin d’en assurer une distribution non seulement nationale mais aussi internationale, dans la mesure où il s’agit du principal pays exportateur de vaccins. Pour cela, la loi fédérale propose un dispositif permettant une meilleure gestion de la production, la loi sur la production de défense (DPA) (6). Déjà invoquée par l’administration Biden, celle-ci permettra de s’assurer des stocks de matière première disponible : il faut savoir que l’administration Trump n’a pas fourni d’informations à ce sujet, alors que les productions à venir dépendent fortement de l’héritage de Trump en matière de productions et de chaine d’approvisionnement dans le cadre d’un stock fédéral. En dépit de cela, l’invocation de la DPA permettrait de lever le voile sur ces zones d’ombre, mais plus encore, d’identifier les vulnérabilités pour ensuite prioriser la production nationale sur celle des vaccins. Cette action a rarement été utilisée par les administrations précédentes et il serait alors question d’obliger les fournisseurs à utiliser davantage leur capacité industrielle pour les besoins de la sécurité nationale, en transférant les matières premières de produits non destinés au traitement de la Covid-19. Plus encore, en vertu du titre III de la DPA, l’administration Biden pourrait octroyer des prêts ou d’autres incitations financières aux fournisseurs afin d’accroître leurs capacités, grâce à des investissements dans des équipements de fabrication supplémentaires, des lignes de production et des installations.

Dès lors, la DPA permettrait au gouvernement d’assurer un stock constant de vaccins destiné aux États-Unis mais également aux autres pays. Dans cette mesure, il est possible pour les États-Unis de réaffirmer leur leadership à travers la coordination mondiale des vaccins en utilisant le budget de l’aide étrangère pour pallier les risques des chaînes d’approvisionnement mondiales essentielles à la distribution des vaccins. Par exemple, les États-Unis pourraient fournir leur aide aux pays demandeurs qui ne disposent pas de systèmes de stockage comprenant une chaine du froid, nécessaire pour le vaccin Pfizer ou encore faciliter l’accès aux vaccins aux pays à faible revenu à travers le dispositif COVAX. L’US Agency for International Development et l’US Development Finance Corporation travailleront également sur les garanties de crédit, les prêts, les subventions, les fonds d’entreprise et d’autres outils de financement mixte qui pourraient aider les secteurs économiques mondiaux à réduire le risque de leurs canaux d’approvisionnement, de production et de distribution.

Ce projet est un premier pas au retour à l’aide au développement extérieur afin de promouvoir l’influence américaine face aux mécanismes de développement chinois. L’aide prolongée à la distribution des vaccins et aux exportations de produits sanitaires permettrait à cet égard d’augmenter les exportations notamment avec l’aide de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui prévoit des dispositifs dans le cadre de l’accord sur la facilitation des échanges. Cette proposition s’inscrit dans un cadre plus large à moyen-terme de redynamiser ce sur quoi les États-Unis ont en partie fondé leur puissance : l’innovation. La nécessaire reprise en main sur la connectivité numérique mondiale est un autre levier de contre-coercition à l’influence chinoise.

Enfin, à long-terme, il est indispensable de recréer des alliances mondiales dans le cadre du développement après une série de retraits des traités multilatéraux. Il n’est pas forcément nécessaire de recourir aux organisations internationales, au contraire, la planification bilatérale serait plus rapide et efficace. En dehors de la Chine, la Russie, la Turquie et l’Iran sont concernés par cette opération de contre-influence. Les aides au développement devraient augmenter – d’environ 20% par rapport aux niveaux actuels (Center for Strategic and International Studies) – au Soudan, en Afghanistan, en Amérique centrale, en Asie centrale, en Mongolie, en Ukraine, en Arménie, dans les Balkans et dans les îles du Pacifique – afin de contrer les ingérences des puissances adverses. En outre, une concentration sur l’Afrique et les Caraïbes est nécessaire en raison de la présence chinoise qui s’exerce à travers l’octroi de bourses d’études universitaires et des investissements dans les infrastructures énergétiques.

Évidemment, l’Europe s’insère dans le renouvellement des alliances extérieures, à travers les valeurs communes et surtout, au sein de l’alliance transatlantique. Le plus grand défi entre ces deux partenaires est l’élaboration d’une stratégie commune contre Pékin. Si les Européens ont signé un accord d’échange avec la Chine la semaine dernière, cela marque d’une part la volonté européenne d’asseoir sa souveraineté contre Pékin, mais aussi d’agir de son propre chef, en réaction au scepticisme américain affiché durant le mandat Trump. Néanmoins, contrairement à Donald Trump qui considérait l’Union européenne (UE) comme un «ennemi» et a manœuvré pour diviser ses membres, Joe Biden se félicite de l’intégration et de l’émergence du bloc en tant qu’acteur cohérent et autonome capable de partager la charge du leadership mondial – car c’est ici qu’il faut nuancer la position de leadership américain : il ne se fera pas seul et en considérant les pays alliés comme subalternes. Dans ce cas, la situation est donc mûre pour une coopération UE-États-Unis sur un large éventail de questions, au-delà de la Chine. Le programme des actions de la commission européenne 2020-2024 présente une  politique transatlantique appuyée, y compris une solide coopération bilatérale pour développer et garantir la distribution équitable des vaccins Covid-19, mais aussi réduire les émissions de carbone et protéger la biodiversité (en témoigne le retour des États-Unis dans l’accord de Paris), régir le commerce numérique et l’intelligence artificielle et défendre la démocratie dans le monde contre les agressions autoritaires, l’extrémisme et la désinformation.

Si le Congrès divisé peut représenter un obstacle dans l’établissement d’alliances extérieures, on sait néanmoins que la moitié des citoyens américains soutiennent l’OTAN (7) et considèrent comme nécessaire l’alliance avec l’Union européenne (8). Ainsi la stratégie énoncée n’est pas impossible à réaliser si les États-Unis parviennent à rassembler les pays alliés autour d’intérêts communs. La pandémie est tout autant un défi qu’elle est une opportunité de renouveler le leadership américain : la diffusion par les États-Unis du vaccin contribuera à son influence positive et représente un levier économique national fort.


Notes

(1) Traduction « Ce qui est nouveau dans l’ordre du monde émergent, c’est que pour la première fois, les Etats-Unis ne peuvent ni se retirer du monde ni le dominer »

(2) U.S. DEPARTMENT OF DEFENSE. « Secretary Mattis Remarks on the National Defense Strategy in Conversation with the United ». Consulté le 24 janvier 2021. https://www.defense.gov/Newsroom/Transcripts/Transcript/Article/1678512/secretary-mattis-remarks-on-the-national-defense-strategy-in-conversation-with/.

(3) Atlantic Council. « Ashford in Foreign Policy: America Can’t Promote Democracy Abroad. It Can’t Even Protect It at Home. », 7 janvier 2021. https://www.atlanticcouncil.org/insight-impact/in-the-news/ashford-in-foreign-policy-america-cant-promote-democracy-abroad-it-cant-even-protect-it-at-home/.

(4)  « Time for Collective Pushback against China’s Economic Coercion ». Consulté le 24 janvier 2021. https://www.csis.org/analysis/time-collective-pushback-against-chinas-economic-coercion.

(5) « Citizenship data is latest rollback of Trump census efforts ». Consulté le 24 janvier 2021. https://economictimes.indiatimes.com/news/international/world-news/citizenship-data-is-latest-rollback-of-trump-census-efforts/articleshow/80425990.cms.

 (6) Bialos, Jeffrey P. « Biden Should Focus Defense Production Act on Fixing the COVID Supply Chain ». Defense News, 21 janvier 2021. https://www.defensenews.com/opinion/2021/01/21/biden-should-focus-defense-production-act-on-fixing-the-covid-supply-chain/.

(7)  Media Inquiries. « NATO Viewed Favorably Across Member States ». Pew Research Center’s Global Attitudes Project (blog), 10 février 2020. https://www.pewresearch.org/global/2020/02/09/nato-seen-favorably-across-member-states/.

(8) Media Inquiries. « Attitudes toward EU are largely positive, both within Europe and outside it ». Pew Research Center (blog). Consulté le 24 janvier 2021. https://www.pewresearch.org/fact-tank/2019/10/21/attitudes-toward-eu-are-largely-positive-both-within-europe-and-outside-it/.

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