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Attentats de janvier 2015 – Bilan d’un procès pour l’Histoire
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Par Adrien Sémon,

« Avec ce procès, il nous faut affronter le fait que des gens élevés en France, nourris par l’aide sociale à l’enfance […], arrivent dans une rédaction et tuent onze personnes de sang-froid. »

Gilles Kepel (1)

Mercredi 16 décembre est tombé le verdict du procès en première instance des attentats de janvier 2015. Bien plus que le jugement des seconds couteaux, il s’agissait avant tout de déterminer à quel degré les quatorze accusés – seuls onze étaient présents – ont participé et rendu possible la réalisation de ces entreprises terroristes. Deux comparaissaient pour complicité de crimes terroristes, onze pour association de malfaiteurs terroristes et le dernier pour association de malfaiteurs simple.

Les enjeux pour la cour d’assise spéciale de Paris étaient multiples et les embuches légions. Comment faire en sorte que la justice antiterroriste naissante ne s’exerce pas dans un régime d’exception qui ferait fi des principes démocratiques ? Comment s’assurer de la crédibilité de cette institution pour ne pas prêter flanc au ressentiment identitaire ?

 

À l’issue de 54 audiences fortes en émotions qui permirent aux victimes et à la nation de mettre des mots là où n’avait régné qu’une violence barbare, les avocats des différentes parties ont pour la plupart salué une décision mesurée, rigoureuse et courageuse. La circonstance aggravante de terrorisme n’a été retenue que pour sept des accusés et les peines prononcées furent toutes inférieures aux réquisitions. Aucun ne fut acquitté bien que tous aient dénié leur responsabilité dans la mise en œuvre des actes meurtriers des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly.

Ce procès et son verdict signent la victoire d’une justice qui a su rendre une décision nuancée malgré l’immense charge émotionnelle. Celle-là constitue désormais une jurisprudence incontournable pour la construction du droit pénal antiterroriste. Surtout, pour des actes d’une telle ampleur, ce procès enterre l’idée du loup solitaire qui avait été appliquée à Mohammed Merah et à cause de laquelle le jihadisme en France demeura un phénomène peu analysé et incompris entre 2012 et 2015.

 

Premier procès filmé du terrorisme en France, celui-ci avait pour but refermer les plaies causées par la vague d’attentats commandités par Daech entre 2015 et 2017. Il s’agissait de ressouder la communauté nationale autour de ses valeurs fondatrices. La liberté d’expression ne se pliera pas à la violence dogmatique ; Charlie Hebdo republia le 1er septembre, veille de l’ouverture du procès, les caricatures de Mahomet et désirait conclure ces événements tragiques d’un laconique « Tout ça pour ça ».

Cette dimension mémorielle fut néanmoins entachée par trois attentats au couteau menés cet automne au nom de l’islam, parmi lesquels la décapitation d’un professeur d’histoire pour avoir donné un cours sur la liberté d’expression. La catharsis désirée n’a pas eu lieu, le désarroi de la nation demeure. Par de tels actes, les caricatures se virent une nouvelle fois transformées en pommes de discorde et les courants islamistes s’emparèrent de l’occasion pour tenter de discréditer la justice et imposer leur discours sur la scène politique. Ce n’était plus le procès des attentats perpétrés contre Charlie Hebdo, mais celui du journal et du caractère prétendument islamophobe de la laïcité française. Ce paralogisme alimente l’idée que la France serait hostile à l’islam et qu’elle instrumentaliserait son principe de laïcité pour exclure les musulmans de la société. Ceux-ci, contraints, se seraient radicalisés pour faire entendre leur cause.

 

De tels raisonnements, abondamment repris par la presse anglo-saxonne et cautionnés par des chefs d’Etats au premier rang desquels Recep Tayyip Erdogan, ont suscité de vives manifestations à l’encontre de la France qui contrastent avec la vague de soutien internationale qui avait suivi les attentats de janvier 2015.

La posture victimaire adoptée par les militants islamistes constitue un piège qui empêche de saisir la nature du jihadisme en occultant la dimension idéologique de l’islamisme dont il se nourrit. Car, si les discours et les attitudes diffèrent entre les franges islamistes, toutes, salafistes comme tablighis, s’accordent sur un point : les musulmans ne doivent pas s’intégrer ni même se mélanger aux non-musulmans. Plus qu’un obstacle, la laïcité apparaît aux antipodes d’un tel projet communautaire et c’est pourquoi elle est si souvent dénoncée. Dès lors, le jihadisme doit être compris comme la poursuite de cette lutte politique par d’autres moyens. C’est de ce combat, et de la guerre civile préconisée par l’idéologue lié al Al-Qaïda Abou Moussab al-Souri (2), que doit résulter l’avènement d’un Etat régi par les normes islamiques.

 

Le procès ne clôture donc pas le chapitre du jihadisme, dont l’idéologie persiste, mais se se situe en réalité à la croisée entre deux phases de cette mouvance. L’une, incarnée par des attentats spectaculaires programmés depuis l’étranger visant avant tout des lieux symboliques et aux victimes bien souvent anonymes, s’achève avec la fin de l’existence territoriale de Daech au Levant. L’autre, caractérisée par des attentats peu organisés, initiés par des entrepreneurs de colère sur les réseaux sociaux et ciblant des personnes pour leurs agissements estimés contraires à l’islam, débute un jihadisme d’atmosphère visant à faire taire toute manifestation de l’universalisme, contraire par essence à la vision d’un monde divisé entre musulmans et mécréants.

 

Le procès des attentats de janvier 2015 constitue bien un procès historique permettant d’initier une justice antiterroriste se rapprochant d’une justice transitionnelle dont la dimension cathartique doit à terme s’imposer pour faire société. Il n’est toutefois pas exempt de paradoxes. Procès symbolique, il n’a jugé que des figures sans grande envergure du terrorisme et a révélé une certaine trivialité du mal. De surcroît, il ne se situe pas à la fin d’un processus historique, mais bien au cours de celui-ci et prépare, à l’ouverture de cette décennie, le système judiciaire à répondre aux mutations du jihadisme. En somme, il s’agit autant d’un procès pour l’Histoire passée que pour l’Histoire à venir.


Notes 

(1)  Entretien de Gille Kepel donné le 14 septembre 2020 à La fabrique de l’opinionhttps://www.lopinion.fr/edition/politique/gilles-kepel-parler-lampistes-proces-charlie-c-est-ne-rien-comprendre-223622, (consulté le 20 décembre 2020).

(2) Abou Moussab al-Souri a rédigé l’Appel à la résistance islamique mondiale, ouvrage qui a transformé l’idéologie jihadiste.

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