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Le Sénat dresse le bilan et les perspectives de l’opération Barkhane
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Le Sénat dresse le bilan et les perspectives de l’opération Barkhane

 

La commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat a entamé le 22 janvier dernier un cycle d’auditions afin de dresser un état des lieux de l’opération Barkhane. La commission a déjà entendu le général François Lecointre, chef d’État-Major des Armées, les ambassadeurs du Mali, de la Mauritanie, du Niger, du Tchad et du Burkina Faso[1], ainsi que des chercheurs spécialistes de la région. Les ministres des Armées et des Affaires étrangères seront auditionnés ultérieurement.

 

Chacun des orateurs, et notamment les ambassadeurs, a souligné les difficultés rencontrées par les États du Sahel dans les domaines sécuritaire, politique, administratif, humanitaire, économique, et dans la lutte contre les groupes terroristes. Celles-ci seraient principalement dues à l’étendue du territoire à sécuriser ; au manque de moyens humains, financiers, et matériels ; à l’agilité et la discrétion de l’ennemi ainsi qu’aux conflits interethniques. Les sénateurs ont cherché, pour leur part, à s’assurer que les gouvernements sahéliens endossent entièrement leurs responsabilités sécuritaires et qu’ils luttent effectivement contre la propagande « antifrançaise », alors même que chaque ambassadeur a confirmé devant la commission l’importance de la force Barkhane.

 

Concernant l’avancée de la lutte anti-terroriste, le général Lecointre a exposé le bilan de l’opération Barkhane lors de son audition du 5 février[2]. Il a repris et justifié les choix effectués, tout en alertant les sénateurs sur la situation sécuritaire actuelle. Ainsi, il a souligné une victoire militaire ne laissant qu’une menace « résiduelle» à la « mi 2014», dont la gestion était « à la portée des États de la région». Dans cette nouvelle logique, l’opération. Barkhane a été lancée le 1eraoût 2014 et la force conjointe G5 Sahel (G5S) a été mise sur pied le 2 juillet 2017 par la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Tchad et le Niger. Le but était de progressivement bâtir dans la région une architecture sécuritaire et autonome – c’est-à-dire capable de tenir sans les forces françaises -, puisque le plus fort de la menace avait été éliminé.

 

Le général Lecointre dresse un bilan mitigé de ces hypothèses initiales. D’une part, l’opération Barkhane n’a pas été « accompagnée d’un retour de l’appareil d’État ni de refonte efficace des forces armées, notamment maliennes». D’autre part, il a mis en exergue les conséquences délétères de l’application jugée très insuffisante de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali signé à Alger en mai et juin 2015. La présence étatique malienne, dans les régions où elle s’est maintenue, est ainsi demeurée contestée voire combattue, ce qui maintient « le chaos» dans la partie Nord du Mali et la zone des trois frontières, entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Enfin, « les forces armées maliennes, mais aussi nigériennes et burkinabés subissent des pertes importantes, de l’ordre d’un bataillon par an» malgré la mission de formation de l’Union européenne (EUTM).

 

Le général Lecointre a constaté que « la menace terroriste n’a pas été contenue», et qu’elle a au contraire débordé dans la zone des trois frontières. Il a ouvertement comparé la situation avec la crise malienne de 2012, au cours de laquelle le gouvernement de Bamako avait perdu le contrôle du Nord du Mali, puisque l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) a étendu son emprise territoriale dans la zone des trois frontières et y mène des attaques meurtrières. Ce groupe est indirectement issu du Mujao (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest), lequel a mené la rébellion de 2012. L’EIGS s’appuie sur une population locale qui «se sent abandonnée par l’État» ainsi que sur sa capacité à instrumentaliser les ethnicités, à recruter parmi les jeunes locaux et à maîtriser le terrain. Depuis mai 2019, les attaques se multiplient et s’intensifient sur les postes frontaliers, dont beaucoup sont aujourd’hui abandonnés par les forces de sécurité des pays du G5S.

 

Cette reconfiguration de la menace explique et justifie, selon le général Lecointre, l’inflexion stratégique de la France voulue par le président de la République, et officialisée lors du sommet de Pau le 13 janvier avec les présidents du G5S. Quatre piliers de l’action commune du G5S et de la France ont été définis lors de ce sommet, comportant chacun une dimension régionale du G5S ainsi qu’une dimension internationale. Sur le plan militaire, les efforts sont dorénavant concentrés sur l’éradication de l’EIGS dans la zone des trois frontières, même si « [les forces françaises] ne [négligent] ni le centre ni le nord du Mali ». En outre, le dispositif militaire a été renforcé de 550 militaires français ainsi que de la Task Force Takuba composée de forces spéciales de pays européens. Le dispositif militaire a également été réorganisé : la force conjointe du G5S et la force de Barkhane sont désormais sous les ordres d’un commandement conjoint. Le général Lecointre a souligné l’importance de l’internationalisation et de l’européanisation – balbutiante – de la force du G5S et de la force de Barkhane, nécessitant fonds, matériels, renforts, alors qu’un retrait des Etats-Unis est envisageable.

 

Le deuxième pilier annoncé à Pau traite de la « reconstruction et la formation des armées partenaires». Pour cela, le général Lecointre souhaite que l’opération EUTM soit révisée afin de devenir une « véritable mission» de « reconstruction de l’armée malienne», « qui pourrait être étendue au Niger et au Burkina Faso s’ils en font la demande». Surtout, « la lutte directe contre le terrorisme et le renforcement des capacités militaires des forces conjointes du G5 Sahel n’ont de sens que si les deux autres piliers – le retour de l’État et de l’administration sur tous les territoires, et l’aide au développement – sont réellement mis en oeuvre».

 

En définitive, le constat dressé par le général Lecointre, partagé par les autres orateurs lors des différentes auditions, est la nécessité d’un effort multidimensionnel et international d’accompagnement des Armées du G5S et de développement économique et administratif de long terme, pour stabiliser le Sahel.

 

 

[1]Comptes rendus de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, mercredi 26 février 2020 : Situation sécuritaire de leurs pays et sur les suites attendues du Sommet de Pau du 13 janvier 2020 – Audition des ambassadeurs des pays du G5 Sahel : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20200224/etr.html#toc4 (consulté le 16 mars 2020).

[2]Comptes rendus de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, mercredi 5 février 2020 :

https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20200203/etr.html#toc4(consulté le 16 mars 2020).

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