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L’Etat cherche toujours un investisseur – français – pour Photonis 
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L’Etat cherche toujours un investisseur – français – pour Photonis 

 

 

Le 2 juin 2015, la conception de la caméra Kaméléon, capable de filmer en couleurs de jour comme de nuit, par l’entreprise Photonis était récompensée du prix « Ingénieur Général Chanson ». Le groupe industriel français conçoit et fabrique des tubes intensificateurs de lumière et caméras de basse-lumière dans les domaines de l’aérospatial, de la recherche, de la médecine, de l’industrie nucléaire et de la défense. Il fournit notamment des systèmes de vision et de visée nocturnes aux forces spéciales françaises et aux pays de l’OTAN. Une part du groupe a été récemment mise en vente par le fond d’investissement Ardian[1] ; à ce jour, seuls des fonds américains semblent intéressés.

 

Cette vente a fait l’objet d’une lettre de 17 députés[2] adressée le 18 janvier dernier au Premier ministre, s’alarmant d’une perte de souveraineté industrielle, selon La Tribune. Joël Barre tempère dans une audition au Sénat, rappelant que la DGA (Délégation Générale pour l’Armement) a « demandé à […] Thales et Safran, de se pencher sur le dossier. Soit ceux-ci s’entendent et rachètent cette entreprise, soit Ardian la revend à un fonds et, si celui-ci est étranger, [la DGA appliquera] la réglementation en vigueur »[3].

 

Dans un contexte de durcissement américain et allemand, et de présence chinoise accrue, la réglementation évolue : en application de la loi PACTE, le décret n°2018-1057 du 1er décembre 2018 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable, élargit les domaines considérés sensibles, soumet l’investisseur étranger à l’autorisation du ministre de l’Economie et des Finances et renforce les sanctions en cas de non-respect de la procédure[4]. Le décret n° 2019-1590 du 31 décembre 2019 et l’arrêté qui en découle, prévoient un seuil de participation contrôlé à 25% contre 33% auparavant, et élargit encore le champ d’application, de la sécurité alimentaire à la presse en passant par les technologies quantiques. Cette législation s’inscrit dans la continuité du règlement 2019/452 de l’Union européenne.

 

Des dispositifs de l’Agence Innovation Défense, tels que RAPID pour le soutien aux PME et PMI, l’innovation participative ou ASTRID pour la recherche, participent au maintien du contrôle national sur le tissu d’entreprises dans le secteur de la défense.

 

La question de la souveraineté industrielle est régulièrement soulevée, notamment lors de la cession de Latécoère à Searchlight Capital Partners cet hiver, d’HGH à Carlyle, de Morpho à Advent, en se cantonnant au secteur de la défense. Surtout, le rachat en 2014 par General Electric de la branche énergie d’Alstom (fabriquant des turbines pour les sous-marins nucléaires français) a suscité des réactions politiques brûlantes. La question est parfois tranchée : le CNES conserve un tiers des parts de CLS, vendue à un investisseur belge, tandis que les activités spatiales de Nexeya n’ont pas été cédées au groupe allemand Hensoldt.

 

Ces ventes peuvent être justifiées par des besoins de financement pour développer ces entreprises, que l’investisseur public n’est pas forcément capable de fournir (plus de dix milliards d’euros pour le rachat d’Alstom). Yannick Assouad, PDG de Latécoère, modère l’inquiétude politique dans une interview à L’Usine Nouvelle en décembre 2019 : « Il faut reconnaître qu’il y a bien quelques affaires critiques au sein de l’entreprise, car nous participons au Rafale, à l’A400M et au missile M51. […] Reste que la lettre d’engagement signée par Searchlight, confidentielle, aborde ces questions. En cela, l’Etat a bien joué son rôle pour protéger ce qui doit l’être. En tant que dirigeante de Latécoère, je mettrai un point d’honneur à respecter ces engagements. »

 

La stratégie des organes publics concernés (la Direction Générale des entreprises, la DGA, le Trésor qui gère les demandes d’investissements étrangers) semble évoluer d’une tactique du cas par cas à une systématisation des règles de protection. Cette évolution correspond à la multiplication des acteurs pour couvrir de façon corrélative l’élargissement significatif des secteurs stratégiques.

 

 

[1] https://www.ardian.com/fr/companies-list#0?search_photonis=&.

[2]https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/ventes-de-photonis-et-latecoere-17-deputes-souhaitent-une-approche-souveraine-833806.html et http://www.opex360.com/2019/11/23/defense-17-deputes-se-mobilisent-pour-photonis-et-latecoere-susceptibles-de-passer-sous-pavillon-americain/.

[3] http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20190930/etr.html#toc2.

[4]https://www.usinenouvelle.com/blogs/cabinet-dechert/l-impact-du-renforcement-du-controle-des-investissements-etrangers-par-la-loi-pacte-sur-les-secteur-de-la-sante-et-la-health-tech.N802540

https://www.defense.gouv.fr/aid/deposer-vos-projets/subventions/rapid.

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