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Les conséquences des différents scenarii du Brexit en matière de défense européenne
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Les conséquences des différents scenarii du Brexit en matière de défense européenne

 

Par Jérémie Ezerzer

 

Alors que le futur de la relation entre l’Union européenne et le Royaume-Uni demeure incertain, les conséquences de ce retrait sur la stratégie de défense européenne le sont d’autant plus. L’accord proposé par Bruxelles, tout comme celui qui lui a précédé, reste très évasif sur le futur de la relation envisagée.

 

Un Brexit qui rapproche

 

Le Royaume-Uni a toujours été relativement opposé à l’approfondissement de la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC) de l’Union européenne (UE). Pourtant, depuis que la décision de quitter l’UE a été entérinée lors du référendum de 2016, le positionnement du Royaume-Uni a évolué de manière inattendue. Alors qu’il eut été logique que Londres se montre encore plus en retrait vis-à-vis de la politique de défense européenne, le contraire se produisit et les initiatives pour conserver un rôle clef au sein de la PSDC ne se comptent plus[1]. Ce changement soudain de position n’est pas anodin et témoigne d’un certain pragmatisme. En effet, la prise de pouvoir de Donald Trump à la Maison Blanche et la mise en place d’une politique de défense de moins en moins orientée vers l’Europe se traduit par la crainte du Royaume-Uni d’être isolé sur l’échiquier mondial[2].

 

Les accords préalables entre les deux parties

 

Malgré cette volonté de construire une relation particulière avec l’Union européenne, le futur de celle-ci reste particulièrement flou. En effet, dans le cadre des négociations du Brexit, le domaine de la défense a un statut particulier.  Contrairement aux accords commerciaux ou douaniers, il n’est que très peu évoqué dans les propositions d’accord formulées par l’UE – y compris dans l’accord obtenu le 17 octobre 2019[3]. Bien que la déclaration de la politique étrangère et de sécurité laisse entrevoir une possible collaboration sur des projets existants et futurs de l’Agence européenne de défense, la décision relative au statut exact du Royaume-Uni au sein de la défense européenne ne sera rendue qu’après la mise en place effective de sa sortie de l’Union. Le scénario de sortie a donc un impact direct plus faible que dans la majorité des autres domaines. Néanmoins, selon Michel Barnier, négociateur en chef chargé de la préparation et de la conduite des négociations avec le Royaume-Uni, une sortie sans accord représenterait « une rupture au niveau des pourparlers, des risques dans la mise en commun de renseignement, l’application des régimes de sanctions. Le Royaume-Uni ne participerait plus aux opérations de l’UE, ne participerait plus à l’Agence européenne de défense ni à PESCO [coopération de l’UE en matière de projets militaires] »[4].

 

Du côté Britannique, le gouvernement May avait proposé un traité de sécurité garantissant que tant que le Royaume-Uni participerait au processus de défense européen, il respecterait les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne[5].

 

L’importance de la coopération européenne avec le Royaume-Uni en matière de défense

 

« Trade can be transactional; security is not » : tels sont les propos tenus par Wolfgang Ischinger et Stefano Stefanini -respectivement président de la conférence de sécurité de Munich et ancien représentant permanent de l’Italie auprès de l’OTAN – dans un document préparatoire de l’édition 2018 de la Conférence de sécurité de Munich. Les capacités militaires britanniques représentent entre 25 % et 30 % des capacités totales de l’UE : « too little for the UK to stand alone ; (…) too much for the EU to do without it »[6]Bien que dans une position dominante, l’Union européenne ne peut rester de marbre face aux demandes de participation du Royaume-Uni. L’industrie aéronautique et de défense britannique fait figure de mastodonte européen, représentant plus de 360 000 emplois et engrangeant près de 37 milliards de livres d’exportations annuelles. Si l’on ajoute à cela les compétences et les technologies que les Britanniques sont les seuls à posséder en Europe, il semble illogique de se passer de cet atout alors que l’Europe veut se placer en acteur central de la sécurité mondiale. La consolidation de l’industrie de défense européenne est en marche et certains de ses plus gros contributeurs sont au Royaume-Uni[7].

 

Comme pour une grande partie de l’industrie manufacturière britannique, l’un des principaux enjeux sera le maintien des chaînes d’approvisionnements complexes et d’une fabrication en flux tendus : comment recruter et déployer des équipes techniques paneuropéennes alors que l’accord trouvé par Bruxelles prévoit une sortie du Royaume-Uni du marché unique et de l’union douanière au plus tard en 2022 [8] ?

 

De plus, une fois la période de transition terminée, le Brexit risque de rendre difficile le maintien à un niveau équivalent la coopération transfrontalière en matière de lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Du fait du caractère unique de la primauté du droit européen dans certains secteurs, les Etats-membres peuvent maintenir des niveaux de coopération policière et judiciaire (notamment les mandats d’arrêt et les échanges de données personnelles) que l’on ne retrouve chez aucun état non-membre. L’UE étant une communauté de droit, elle n’entretient pas des relations particulièrement profondes avec les états tiers [9].

 

Il semble donc être dans l’intérêt commun de promouvoir une grande flexibilité des relations avec le Royaume-Uni afin d’assurer la possibilité d’une initiative paneuropéenne durable.

 

L’évolution de la gouvernance européenne en matière de défense en l’absence du Royaume-Uni

 

Néanmoins, il ne semble pas envisageable que le Royaume-Uni quitte l’UE tout en gardant un pouvoir décisionnel comparable à celui d’un état membre, et cela, même si son budget de défense de 51 milliards représente près d’un cinquième du budget des 28 pays de l’UE. L’autonomie décisionnelle est un axe majeur de l’Union européenne sur lequel il n’aurait pas de sens de reculer, d’autant plus que cela irait à l’encontre des traités en vigueur.

 

Face au refus catégorique des Européens de laisser un quelconque pouvoir décisionnel au Royaume-Uni, Londres a proposé la mise en place d’un dialogue avec l’UE sur les questions relatives à la défense et aux affaires étrangères, ce qui serait similaire à ce que l’Union européenne pratique déjà avec d’autres pays alliés. Ce qui est plus problématique en revanche, c’est la volonté britannique d’organiser ce dialogue lors de réunions informelles du Comité politique et de sécurité, ce qui reviendrait à contourner l’autonomie décisionnelle Européenne. Même si cette solution serait conforme à la législation européenne, elle octroierait un régime de faveur à un pays tiers, ce qui créerait un précédent qui pourrait pousser les Etats-Unis à demander les mêmes avantages[10].

 

Face à ces questions, la position de l’UE reste claire : Bruxelles est prête à coopérer étroitement avec Londres, mais uniquement après avoir formulé ses orientations.

 

Dans quelle direction la sécurité européenne va-t-elle se diriger sans le Royaume-Uni ?

 

Certains experts considère que, si aucun pouvoir décisionnel n’est conféré au Royaume-Uni, l’orientation de la défense européenne évoluera progressivement.En effet, au fil du temps, la suppression d’un membre centré vers la défense internationale va orienter la défense européenne vers les pays des régions voisines, notamment le Maghreb et l’Europe de l’Est. Cela pourrait polariser les intérêts européens et britanniques [11].

 

Néanmoins, dans certaines situations, l’UE et le Royaume-Uni pourraient être engagés dans des missions communes dont les objectifs seraient secondaires pour l’OTAN. Il reste toutefois peu probable que le Royaume-Uni accepte de participer à une mission dont les modalités auraient entièrement été décidées par l’Union européenne : la création de nouvelles structures, permettant une coopération au-delà du cadre formel de l’Union européenne, semble dès lors indispensable. C’est dans cette optique que s’inscrit la proposition d’Emmanuel Macron de créer en juin 2018 l’initiative européenne d’intervention (IEI), dont le Royaume-Uni fait partie aux côtés de huit Etats-membres de l’Union européenne.

 

Trois scénarii peuvent dès lors être dégagés quant à la coopération entre le RU et l’UE en matière de défense. Le plus optimiste se traduirait, après la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, par une amélioration de la coopération britannique avec l’Europe en matière de défense. En admettant que, afin de compenser sa perte d’influence, Londres renforce sa coopération avec Bruxelles, cela permettrait aux Etats membres de bénéficier d’un partenaire plus constructif et engagé, mais également, déchu de son veto. Il peut également être envisagé que l’Union européenne se refuse à faire une exception pour un pays tiers et que sa relation avec le Royaume-Uni soit similaire à celle des pays alliés de l’UE. Néanmoins, fort de sa victoire lors des élections générales  du 12 décembre 2019, il n’est pas exclu que Boris Johnson fasse preuve d’une grande fermeté vis à vis des autres leaders européens lors de la mise en place du Brexit ; le Premier ministre pourrait dès lors mettre à mal l’ensemble des négociations relatives à la défense européenne.

 

L’ampleur des conséquences du Brexit sur la défense européenne est encore difficile à mesurer ; la volonté commune de l’Union européenne et du Royaume-Uni de développer une nouvelle relation sera essentielle. Si les accords conclus entre l’Union européenne et des pays tiers, tels que la Norvège et la Suisse, ont une valeur certaine, ils semblent toutefois difficilement transposables au Royaume-Uni. La puissance militaire indéniable du Royaume-Uni lui permettra sans nul doute de conserver une relation singulière avec  l’Union européenne. Cependant, les intentions précises de Boris Johnson, qui dispose désormais d’une majorité absolue à la chambre des communes, demeure inconnues. Il faudra donc attendre le 31 janvier 2020, nouvelle date de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, pour que la situation s’éclaircisse réellement.

 

 

[1]Jacobs, A., Vanhoonacker, S. (20178). EU-UK cooperation in CSDP after Brexit, Dahrendorf Forum.

[2]Londres, T. (2019). Sécurité. Paris et Londres éloignés par le Brexit, rapprochés par la défense européenne. [online] Courrier international. Disponible en suivant le lien : https://www.courrierinternational.com/article/securite-paris-et-londres-eloignes-par-le-brexit-rapproches-par-la-defense-europeenne [Accessed 3 Nov. 2019].

[3]Franceinfo. (2019). Brexit : l’UE et le Royaume-Uni concluent un nouvel accord. Disponible en suivant le lien : https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/la-grande-bretagne-et-l-ue/brexit-l-ue-et-le-royaume-uni-concluent-un-nouvel-accord_3663217.html

[4]www.euractiv.fr. (2019). Un Brexit dur aura un impact sur la politique sécuritaire et étrangère. [online] Available at: https://www.euractiv.fr/section/royaume-uni-en-europe/news/no-deal-brexit-could-impact-foreign-and-security-policy-barnier-warns/.

[5]Chalmers, M. (2018). Brexit and European Security. Royal United Services Institute for Defence and Security Studies.

[6]ISCHINGER Wolfgang, STEFANINI Stefano, « There is more at stake in Brexit than just trade », Monthly Mind, décember 2017, Munich Security Conference.

[7]Howorth, J. (2017). EU Defence Cooperation after Brexit: What Role for the UK in the Future EU Defence Arrangements?. European View, 16(2), pp.191-200.

[8]Chalmers, M. (2018). Brexit and European Security. Royal United Services Institute for Defence and Security Studies.

[9]François Heisbourg (2018) Europe’s Defence: Revisiting the Impact of Brexit, Survival, 60:6, 17-26.

[10]Sven Biscop (2016) All or nothing? The EU Global Strategy and defence policy after the Brexit, Contemporary Security Policy, 37:3, 431-445.

[11]Howorth, J. (2017). EU Defence Cooperation after Brexit: What Role for the UK in the Future EU Defence Arrangements?. European View, 16(2), pp.191-200.

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