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Edition 2019 du salon de l’Association de l’US Army (AUSA)
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Par Clémence Cassé, Lucie Haigneré et Xavier Marié

 

Du 16 au 20 octobre s’est déroulée l’édition 2019 du salon de l’Association de l’US Army (AUSA), événement majeur qui est l’occasion pour les dirigeants de l’Army de s’exprimer sur les grands enjeux des forces terrestres américaines sur le plan stratégique, doctrinal et capacitaire tandis que les industriels de défense du monde entier tentent de répondre aux besoins technologiques de l’US Army. Voici donc quelques éléments saillants de ce salon, qui n’ont aucune prétention à l’exhaustivité au vu de l’ampleur de l’événement.

 

S’exprimant à plusieurs reprises, le secrétaire à l’Army, Ryan McCarthy, a mis en exergue la nécessité pour les forces terrestres d’améliorer leur préparation opérationnelle de manière à être en mesure de mobiliser et déployer rapidement des forces à travers le monde pour des opérations de haute intensité dans le cadre du virage stratégique américain vers la rivalité entre grandes puissances, tel que défini par la National Defense Strategy. À ce titre, il a annoncé l’organisation en 2020 d’un exercice de grande ampleur, intitulé Defender 2020, simulant la réponse américaine à une crise grave en Europe. Il devrait s’agir du plus important exercice conduit par l’Army en Europe depuis 25 ans, exercice qui traduit la volonté du Pentagone de renforcer sa capacité à déployer rapidement des volumes conséquents de forces terrestres dans l’optique d’affrontements de haute intensité. Il a par ailleurs souligné l’importance du concept stratégique d’opérations multidomaines, concept qui fera l’objet d’exercices majeurs notamment en Europe et en Asie-Pacifique, et aussi présenté l’enjeu primordial que représente la guerre informationnelle. Les opérations multidomaines impliquent l’intégration à tous les échelons des différentes composantes du combat, avec un accent particulier porté sur les aspects cyber, informationnels, renseignement et guerre électronique. L’US Army vise à disposer d’une task-force pleinement capable de conduire des opérations multidomaines d’ici 2028, avant une généralisation à l’ensemble de l’Army pour 2035.

 

Dans le prolongement de cette réflexion, les cadres de l’Army ont profité de l’AUSA 2019 pour réaffirmer leur volonté de remettre au centre de l’entraînement des forces terrestres, à tous les échelons, la préparation aux manœuvres de grande ampleur dans un contexte de combat de haute intensité.

 

Ces réflexions doctrinales et stratégiques trouvent leur pendant dans le domaine capacitaire et industriel, dont on présente ici quelques illustrations.

 

La nécessité pour les forces terrestres américaines de renforcer leurs capacités de mobilité, dans le cadre de grandes manœuvres s’inscrivant dans de potentiels conflits de haute intensité, se traduit par l’expression d’un besoin en matière de capacités de franchissement à destination des véhicules blindés lourds. Ainsi, Leonardo DRS a signé un contrat de 400 millions de dollars avec l’US Army pour construire et livrer 273 Joint Assault Bridge (JAB). Il s’agit de chars M1 Abrams modifiés sur lesquels sont fixés, en haut du véhicule, un système de pont pouvant être déployé en cas de franchissement de cours d’eau, permettant ainsi aux chars d’assaut de surmonter cette difficulté géographique. Ce type de technologie de franchissement semble particulièrement adapté au théâtre européen. En effet, les régions du centre et de l’est de l’Europe sont traversées par de nombreux fleuves (Danube, Volga, Rhin, etc.) et cours d’eau, or les équipements du génie de l’OTAN et des forces américaines sont insuffisants pour permettre le construire passage de chars lourds. De surcroît, les ponts construits dans ces régions ne peuvent pas tous être utilisés du fait du poids des chars, près de 80 tonnes pour le char allemand Leopard ou environ 91 tonnes pour le char américain Abrams. Le développement de systèmes de ponts capables de supporter des véhicules blindés est une nécessité afin de permettre aux grandes unités mécanisées et blindées de l’Army d’exploiter tout leur potentiel en cas de déploiement sur de vastes théâtres d’opération.

 

Parallèlement, afin d’accompagner la modernisation et le renforcement de la létalité de ses forces en vue du retour au combat de haute intensité entre grandes puissances se traduit par l’identification de 6 grandes priorités technologiques sur lesquelles travaillent des équipes transverses (« cross-functional teams »). AUSA 2019 fut l’occasion pour les industriels de proposer leurs réponses aux besoins opérationnels de l’Army. En voici quelques exemples déclinés par priorité.

 

Priorité « létalité du fantassin » :

 

Cette priorité se décline à travers plusieurs grands programmes phares tels que le renouvellement des armes légères du fantassin, des capacités de vision nocturne, des drones tactiques ou des simulateurs destinés à l’entraînement. Elle se traduit aussi par des développements autour des technologies visant à créer un fantassin « augmenté ». Ainsi, au cours d’AUSA 2019, Lockheed Martin a présenté son programme d’exosquelette appelé ONYX. Il consiste en un genou motorisé fixé à la jambe du combattant lui permettant d’alléger l’équipement qu’il porte en renforçant l’articulation du genou, ce qui permettrait ainsi d’éviter des blessures, très fréquentes au sein de l’infanterie du fait du poids de l’équipement porté par les combattants, doublé de nombreux déplacements qui mettent à mal les articulations. Le soldat serait ainsi à même d’évoluer plus longtemps sur le terrain en diminuant les risques de blessure. L’US Army s’est dit intéressée par le programme, notamment pour ses fantassins évoluant en milieu urbain.

 

Priorité « défense anti-aérienne et anti-missile » :

 

Raytheon a signé un contrat à hauteur de 383 millions de dollars avec l’US Army pour la construction de six exemplaires d’un nouveau radar, dit  Lower Tier Air and Missile Defense Sensor (LTAMDS) qui a vocation à remplacer le radar du système Patriot. Le LTAMDS est un des projets prioritaires dans la politique de défense aérienne de l’armée américaine. Alors que le LTAMDS était envisagé seulement comme le remplacement d’un radar vieillissant, il est désormais considéré comme élément central de l’Air and Missile Defense de l’US Army. En effet, la détection d’objets volants, outre les aéronefs à voilure fixe, couvre tant les missiles de croisière, les missiles balistiques, que les hélicoptères ou encore les drones. Les renseignements collectés par les nouveaux radars seront distribués à l’ensemble du Système intégré de commandement pour la défense aérienne et antimissile (IBCS). Bien que l’option d’une détection à 360 degrés ait été évoquée, le commandement américain a pris la décision de ne pas l’appliquer aux nouveaux radars, en effet, le radar est capable de détecter dans toutes les directions mais pas avec le même niveau de précision sur le champ entier. Cette décision a vivement été critiquée, notamment par Tom Karako, du programme de recherche sur la défense anti-missile au Center for Strategic and International Studies. Pour lui, bien que les différents systèmes aériens, du missile balistique au drone, aient des vitesses et suivent des trajectoires très différentes, l’agencement du radar LTAMDS devrait, dans les faits, permettre une détection à 360 degrés avec plus ou moins de précision. Un missile balistique, bien qu’extrêmement rapide et volant à haute altitude, a une maniabilité très faible, et la détection de sa zone de lancement est déjà un indice de sa direction, or le panneau central du radar est dévolu à cette détection. Quant aux systèmes aériens tels que les drones et les missiles de croisière, bien que beaucoup plus maniables, leur vitesse est bien moindre et ils volent à plus basse altitude que les missiles balistiques. Or, pour l’expert, les panneaux latéraux présents sur le radar sont à même de détecter ce genre de menace.

 

Priorité « capacités de frappe longue portée » :

 

La fin de facto du traité INF sur les forces nucléaires intermédiaires se traduit par la relance de la course aux armements dans le domaine des missiles tactiques et de portée intermédiaire. Côté américain, Raytheon et Lockheed Martin s’affrontent pour remporter le contrat Precision Strike Missile (PrSM). Ce programme a pour vocation de remplacer à partir de 2023 les missiles ATACMS, des missiles balistiques tactiques sol-sol tirés depuis des lance-roquettes multiples et ayant une portée maximale de 300 km. Si Lockheed Martin a répondu en premier à l’appel d’offres de l’US Army, à l’occasion d’AUSA, Raytheon a présenté son missile DeepStrike dont la portée pourrait atteindre 800km.

 

Le développement d’armes hypersoniques tirées depuis des plateformes terrestres et de canons à très longue portée a également été abordé lors d’AUSA 2019.

Priorité « nouvelle génération de véhicules de combat » :

 

Ce domaine recouvre, outre des programmes classiques de véhicules blindés de transport et de combat d’infanterie, un volet robotique (programme Robot Combat Vehicle). À ce titre, le directeur en charge de l’ensemble de ces programmes a déclaré que les industriels de défense avaient devancé les besoins opérationnels de l’Army. De fait, les drones terrestres étaient très présents lors d’AUSA 2019, avec en particulier la présentation par Textron de son robot Ripsaw, véhicule chenillé de taille moyenne d’une grande modularité. À noter qu’il s’agit de systèmes pilotés à distance et non de systèmes purement autonomes.

 

Par ailleurs, dans la perspective du renforcement de la puissance de feu de la prochaine génération de véhicules de combat de l’Army, Northrop Grumann a dévoilé à l’occasion d’AUSA 2019 un nouveau canon de 50mm à tir rapide qui sera destiné à équiper le futur blindé de combat d’infanterie américain, lui conférant une puissance de feu et une portée inédites.

 

Priorité « nouvelle génération d’hélicoptères » :

 

Ce champ comprend cinq types d’aéronefs destinés à remplacer l’ensemble de la flotte de voilures tournantes de l’Army. Le programme le plus avancé porte sur le potentiel remplaçant des hélicoptères de transport moyen. Deux prototypes sont en lice, le SB-1 Defiant de Sikorsky – Boeing et le V-280 Valor de Bell. AUSA 2019 a également été l’occasion pour les industriels de proposer leurs solutions pour le programme d’un futur hélicoptère de reconnaissance et d’attaque.

 

Ce panorama, très partiel atteste de l’effort stratégique, doctrinal et industriel entrepris par l’US Army pour moderniser et renouveler ses capacités technologiques afin de doter ses forces des outils adaptés à la perspective d’un retour du combat de haute intensité entre grandes puissances.

 

 

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