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Politique spatiale américaine de défense : point de situation
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La réactivation le 29 août 2019 de l’United States Space Command, commandement unifié en charge des opérations militaires spatiales et de la stratégie de défense spatiale américaine, créé par le président Reagan en 1985 et refondu en 2002 au sein du Strategic Command,  met en exergue l’importance toujours accrue que revêt pour les Etats-Unis le domaine spatial en matière de politique de défense et de stratégie. Pour autant, la création d’une Space Force, qui serait responsable de l’organisation, de l’entraînement et de l’équipement en matière de spatial militaire, demeure incertaine malgré le soutien affiché de la Maison-Blanche qui souhaite en voir le lancement dès 2020 et qui a présenté la réactivation du Space Command comme un pas supplémentaire vers la mise en place d’une Space Force. La décision est désormais entre les mains du Congrès. Dans ce contexte, il nous paraît opportun de revenir sur les derniers développements en matière de politique américaine de défense dans l’espace, en se concentrant sur les aspects organisationnels.

 

 

En ce qui concerne le projet de Space Force défendu par la Maison-Blanche, il est décrit dans la quatrième Space Policy Directive signée le 19 février 2019 par le président Trump (Voir notre article à ce sujet). Ce texte vise à créer un département spatial qui relèverait dans un premier temps de la supervision de la Secrétaire à l’Air Force mais avec l’objectif d’en faire, à terme, une Armée à part entière. Or, la création d’une nouvelle Armée constitue une prérogative du Congrès, et même dans le cas où la Space Force serait un département de l’US Air Force, un vote du Congrès demeure nécessaire pour lui allouer un budget la rendant opérationnelle.

 

 

Le 12 septembre, Barbara Barrett, nommée par le président Trump comme future Secrétaire à l’Air Force en remplacement de Heather Wilson,  a apporté son soutien au projet de Space Force lors d’une audition devant le Senate Armed Services Committee, et précisé sa vision de la force spatiale comme un organisme centré sur l’organisation, l’équipement et la formation des unités en charge des opérations spatiales. Plus largement, elle a déclaré que, si elle devait être confirmée à son poste, elle travaillerait à accélérer l’acquisition de nouvelles capacités spatiales, mettant en exergue les menaces croissantes que faisaient peser dans l’espace à la fois des grandes puissances comme la Chine et la Russie, mais aussi des Etats tels que l’Iran et la Corée du Nord.

 

 

Parallèlement, des documents de la cellule de planification de l’US Air Force indiquent qu’un groupe d’environ 200 personnels constituant un noyau initial de la Space Force pourrait être opérationnel 90 jours après l’établissement de la nouvelle branche du Pentagone par une loi votée au Congrès. Ce groupe reprendra alors le travail de planification jusqu’alors effectué au sein de l’US Air Force et déterminera les derniers détails structurels de la branche. La grande majorité de ces personnels proviendrait de l’Air Force (151) car cette dernière, via son Air Force Space Command armé par près de 30 000 personnels, conduit actuellement la majorité des opérations militaires liées à l’espace. Cette cellule initiale recruterait également auprès de l’US Army (24 personnels), de l’US Navy et des Marines (14 personnels) ainsi que de l’Etat-Major, du bureau du Secrétaire à la Défense et de la communauté du renseignement (9 personnels).

 

 

Cependant, un vote du Congrès en faveur de la création d’une Space Force demeure loin d’être acquis. En effet, la nécessité d’une  nouvelle branche au sein du Pentagone est loin de faire l’unanimité car elle pourrait perturber la conduite des opérations spatiales américaines en raison de l’émergence des difficultés et rivalités indissociables de la création de toute nouvelle structure bureaucratique. En outre, se poserait la question du financement et de la taille du budget alloué au nouvel organisme. Nonobstant ces questions, un premier pas a été franchi avec le vote le 23 mai dernier par le comité des forces armées du Sénat d’un texte approuvant la création d’une Space Force dans le cadre du vote sur la loi d’autorisation du budget de la Défense pour 2020. Le comité pour les forces armées de la Chambre des représentants, qui avait pourtant émis de fortes réserves sur le projet, lui a emboîté le pas en votant le 13 juin dernier une proposition de loi approuvant la création d’un Space Corps. L’enjeu pour le Congrès est désormais de parvenir à un texte de compromis entre la Chambre et le Sénat, sachant que les propositions de loi issues des deux branches législatives diffèrent elles-mêmes du projet porté par la Maison-Blanche.

 

 

Au-delà du débat sur la Space Force, le volontarisme de l’administration Trump en matière de politique spatiale s’est traduit par la réactivation de plusieurs organismes, tels que le National Space Council en juin 2017 et le Space Command en août 2019, mais aussi la création de nouvelles structures, à l’instar de celle, en mars 2019, de la Space Development Agency, que nous avions analysée. Cette nouvelle agence était structurée autour d’un ambitieux projet de lancement de centaines de satellites de petite taille et donc peu onéreux afin d’augmenter la capacité de transmission de données entre l’espace et le sol. Elle s’inscrivait dans le cadre de la réorganisation plus large des structures spatiales au sein du Pentagone. Sa mission générale consistait à développer les nouvelles capacités militaires spatiales nécessaires pour assurer aux Etats-Unis l’avantage technologique et militaire dans ce milieu clé.

 

 

Or la Space Development Agency a connu des premiers mois d’existence mouvementés, conduisant à la démission de son directeur Fred Kennedy en juillet, dans un contexte de confusion et de scepticisme au sein du Congrès sur les projets de l’agence, allant même jusqu’à la remise en cause de son existence.  C’est désormais Derek Tournear qui remplit le rôle de directeur par intérim. Docteur en physique de l’université de Stanford disposant d’une forte  expérience dans l’industrie spatiale, il a depuis ajusté la vision de son prédécesseur en lui apportant un certain nombre de changements (par exemple l’élévation de l’orbite des satellites créant le futur maillage spatial américain, qui nécessitera un nombre moins important de satellites pour couvrir le globe). Une douzaine de satellites devraient ainsi être placés en orbite lors de l’année fiscale 2022 afin de tester cette architecture spatiale où les satellites seront tous reliés entre eux ainsi qu’aux stations au sol à l’aide de liaisons optiques. Cette légère réorganisation de l’agence a dû faire face au refus du Congrès de lui allouer 15 millions de dollars supplémentaires pour l’année fiscale 2019, qui auraient permis d’accélérer les processus déjà mis en place.

 

 

Dans un contexte où la concurrence internationale ne cesse de s’accroître en matière de politique spatiale, tout particulièrement militaire, les restructurations de l’organisation du Pentagone dans ce domaine éminemment sensible et soumis à de nombreuses évolutions, devraient se poursuivre. Il convient de les suivre attentivement afin de tenter d’en estimer les répercussions opérationnelles et stratégiques, tout en intégrant l’inertie propre à ces mutations organisationnelles et les potentiels effets d’annonce politique.

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