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Etats-Unis : Inquiétudes des Coast Guards concernant l’Arctique
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Plus tôt dans le mois, l’United States Coast Guard (USCG) publiait un mémorandum intitulé Arctic Strategic Outlook faisant état de la situation militaire dans l’Arctique. L’amiral Karl L. Schultz, commandant en chef de l’USCG y écrit que les garde-côtes ont depuis cent cinquante ans œuvré à la préservation de la souveraineté et de la sécurité américaines en Arctique. Il poursuit en faisant état des ressources halieutiques, en minerais et énergies que la région arctique recèle et l’intérêt grandissant pour ces richesses de la part de divers États du monde. De fait, il rappelle la nécessité de protéger la souveraineté américaine dans la région, en particulier face à la Chine et à la Russie nourrissant des ambitions pour renforcer leur influence et leur présence dans cette région du monde.

 

C’est ainsi que l’amiral Schultz poursuit, dans l’introduction du document : « L’accès aux vastes ressources en énergie, en minéraux, en pêche et autres ressources commerciales de l’Arctique est plus intense au moment même où les intérêts mondiaux dans ces ressources s’intensifient. Les nécessités de sécurité de la Nation dans la région sont urgentes (…). Ce qui était auparavant une région difficile d’accès dont l’attrait était les énergies exploitables, est désormais une région de forte concurrence [entre les Etats] ».

 

Parallèlement, le réchauffement climatique a des conséquences non négligeables dans cette région, en effet, la fonte de la glace permet de dégager des voies de communications maritimes empruntables par les navires de commerce, des voies maritimes qui réduiraient de façon significative le temps de transport, permettant un gain en temps pour la livraison. Le réchauffement de la région permet aussi l’accès à de nombreuses ressources, qui s’avèreraient de véritables mines d’or pour les Etats qui les exploiteraient.

 

Ce mémorandum rédigé par l’USGC concernant l’Arctique est le premier depuis 2013, il présente les objectifs que se sont fixés les garde-côtes américains pour empêcher tout conflit et assurer la souveraineté américaine dans la zone. En 2018, l’ONU a reconnu l’existence de plusieurs routes de navigation dans les eaux polaires. Les routes traversent les zones du détroit de Béring et des zones proches de l’est de la Sibérie et de l’ouest de l’Alaska. Ces routes sont porteuses d’enjeux géostratégiques, militaires, juridiques et commerciaux majeurs, car elles ont des conséquences sur les mobilités à la fois commerciale et militaire, faisant émerger de nouvelles rivalités potentielles. Ainsi, l’USCG s’inquiète-t-il du fait que « la tentative chinoise d’agrandir son influence [dans la région] pourrait empêcher l’accès et la liberté de navigation américaine dans l’Arctique comme des tentatives similaires ont été faites pour empêcher l’accès aux Etats-Unis du sud de la mer de Chine ».

 

Le mémorandum alerte les autorités américaines, en annonçant que durant la dernière décennie, les Etats compétiteurs dans la région ont largement investi dans la construction d’infrastructures et ont noué des relations en Arctique, menaçant l’influence américaine dans la région ; alors qu’à la même période, les investissements des Etats-Unis étaient moindres. Cela engendre donc une différence notable qui menacerait la capacité militaire américaine à maintenir sa zone d’influence et la capacité des garde-côtes à gérer les risques maritimes s’accentuant avec le renforcement de la présence humaine dans l’Arctique. Néanmoins, le Congrès, plus tôt dans l’année, a annoncé le financement d’un nouveau brise-glaces.

 

La Chine et la Russie apparaissent comme les principaux compétiteurs dans la région. Dans le mémorandum on peut lire que ces deux Etats remettent en question « les normes établies depuis longtemps qui ont préservé l’Arctique en en faisant une région en paix et traversée de peu de tensions ». La Chine ne possède aucun territoire en Arctique à proprement parler, néanmoins en 2018 Pékin a publié un mémorandum qui décrivait le pays comme un « near-Arctic-State » (Etat proche de l’Arctique). De plus, le pays a établi un plan connu sous le nom de « la route de la soie polaire », qui a pour ambition de développer des infrastructures dans la région (ports, câbles sous-marins, aéroports). La Russie, quant à elle, est une force de taille dans la région, elle est celle qui possède le plus de brise-glaces (40 au total), ce qui en fait la plus large flotte de brise-glaces du monde. Elle renforce son emprise dans la région en y développant et construisant des bases aériennes, des ports, des pôles commerciaux, mais aussi en y déployant des troupes.

 

Face à ce renforcement de la présence russe en Arctique, en octobre 2018 l’OTAN avait décidé de conduire l’exercice interallié majeur Trident Juncture dans la région. L’exercice avait été un formidable déploiement de moyens, avec près de 150 avions, 70 navires et environ 10 000 véhicules. L’opération se déroulait en Scandinavie, principalement en Norvège, un des enjeux de l’exercice étant de préparer les forces aux difficultés climatiques et techniques que représente un climat très froid, voire polaire. L’exercice se concentrait notamment sur la préparation des forces aériennes, terrestres et maritimes à opérer dans un climat polaire si jamais il était nécessaire que l’alliance doive défendre des territoires du Nord contre une offensive ennemie.

 

Le but de cette opération était d’organiser une réponse collective des alliés à l’attaque d’un des Etats-membres de l’Alliance, selon les mots de son Secrétaire général Jens Stoltenberg. De plus, cette opération a permis aux forces participantes de se préparer à opérer sur des terrains où le climat est hostile, à l’instar de l’Arctique. L’OTAN craint en particulier la montée en puissance de la Russie dans la région, qui réhabilite de nombreuses bases militaires, ce qui pourrait à terme entraver la liberté de navigation des navires.

 

Le général Terrence O’Shaughnessy, commandant de l’organisation américo-canadienne NORAD (Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord), déclarait aux sénateurs américains en février que « l’Arctique est une région sur laquelle nous devons absolument nous concentrer (…). Ce n’est désormais plus une zone tampon. Nous devons être prêts à y mener des opérations, nous devons être prêts à y établir des communications (…). »

 

La force militaire américaine en Alaska permet de mener des opérations pour préserver l’influence américaine en Arctique, via la présence de l’US Army Alaska, le corps d’armée de l’US Army qui défend la plupart des possessions américaines proches de l’Arctique, composé de 25 000 soldats, une force combinée issue de la National Guard et de la réserve fédérale de l’US Army. Ces troupes s’entraînent à opérer dans des conditions climatiques difficiles, de froid polaire, notamment sur la base militaire d’Elmendorf-Richardson (une base conjointe regroupant des forces aériennes et terrestres). De la même manière, le corps des Marines organise régulièrement des exercices en Norvège, en y déployant des contingents de 700 hommes pour une durée de six mois, des troupes qui doivent s’entraîner à mener des opérations en climat froid.

 

Le mémorandum des Coast Guards, pour préserver l’influence américaine, recommande de ne pas se cantonner à des opérations militaires mais de joindre aussi les civils au processus de renforcement de la présence américaine face aux concurrents des Etats-Unis dans la région. Il s’agit ainsi, « en travaillant de façon rapprochée avec les alliés et les partenaires, les garde-côtes pourront prévenir les menaces [pesant sur] les normes maritimes internationales et les intérêts nationaux américains en conduisant des opérations maritimes efficaces et des exercices englobant l’éventail complet de la rivalité ». Construire des relations fortes avec les entreprises locales et les gouvernements municipaux en Alaska sont des moyens de renforcer des règles et des normes que la Chine ou la Russie peuvent ébranler, causant des tensions dans cette région à fort potentiel stratégique, militaire et commercial.

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