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Interview de François Bockel – Chef du Service de la Coopération Régionale et des Affaires Extérieures de la Nouvelle-Calédonie
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Interview de François Bockel – Chef du Service de la Coopération Régionale et des Affaires Extérieures de la Nouvelle-Calédonie

François Bockel est depuis six ans le Chef du Service de la Coopération Régionale et des Relations Extérieures (SCRRE) au Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie dispose de nombreuses compétences en matière internationale. En effet, depuis l’Accord de Nouméa du 5 mai 1998, la coopération régionale ainsi que les relations extérieures relèvent du principe de la souveraineté partagée – principe qui régit le partage des questions de politique étrangère entre le gouvernement français et le gouvernement calédonien. Nous le remercions chaleureusement pour le moment qu’il nous a accordé, qui éclaire les enjeux du référendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, prévu le 4 novembre 2018. 

 

 

Propos recueillis le 20 août 2018 à Nouméa par Camille de la Rochère et Margaux Martin-Péridier.

 

 

I – Le Service de la Coopération Régionale et des Relations Extérieures (SCRRE) : fonctionnement et missions

 

Comment définiriez-vous le rôle du SCRRE au sein du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ?

 

Le Service de la Coopération Régionale et des Relations Extérieures (SCRRE) est un service administratif qui a pour particularité d’être directement rattaché au président du gouvernement de la Nouvelle Calédonie. Ainsi, parmi les 1700 agents que compte le gouvernement (hors établissements publics), seuls les agents du SCREE travaillent sous la direction du président. Il est de surcroît l’unique service qui ne dépende pas d’un secrétariat général. Le statut particulier de la Nouvelle-Calédonie lui confère une compétence internationale.

 

Ce service n’a pas d’équivalent au sein de la République, mise à part la délégation des affaires internationales et européennes du gouvernement de Polynésie, dotée de compétences quasi similaires, mais dont les effectifs sont deux fois moins importants. A ce jour, notre équipe est constituée de 16 membres, dont 12 déjà opérationnels et 4 en formation. En comparaison, la délégation Polynésienne ne compte pas plus de 8 membres.

 

La Nouvelle-Calédonie est dotée de compétences institutionnelles hors du commun : en 1999, la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie confère à l’Archipel le statut de collectivité territoriale sui generis. Cela signifie que les compétences régaliennes comme celles de la politique étrangère, de l’ordre public et de la défense lui appartiennent. Même si nous ne sommes pas reconnus par la communauté internationale comme un Etat en tant que tel, nous bénéficions cependant d’opportunités singulières : nous avons la possibilité de nouer des relations intergouvernementales avec des Etats souverains, ce qui n’est pas le cas des régions, des territoires et des départements d’outre-mer français. Nous sommes membres à part entière de certaines organisations intergouvernementales, dont certaines sont avant tout de nature politique. C’est notamment le cas du Forum des Îles du Pacifique, qui représente pour la région ce que représente l’Organisation de l’Unité Africaine pour l’Afrique. Ceci illustre bien la concession non-négligeable qu’a fait l’Etat français en octroyant la compétence internationale à la Nouvelle-Calédonie.

 

Au sein du service de la Coopération Régionale et des Relations Extérieures, les relations bilatérales avec des Etats structurés concentrent la plupart de nos activités. Une fois la formation de nos 4 diplomates achevée, nous aurons donc des représentants officiels dans ces pays, ce qui constitue l’étape supérieure. Néanmoins, dans la mesure où nous ne sommes pas reconnus comme un Etat, lorsque nous adhérons à une organisation internationale ou que nous concluons un traité bilatéral à l’international, nous avons besoin des pouvoirs de l’Etat. Cela prend la forme d’un document rédigé par le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian qui nous délivre les pouvoirs nécessaires à la signature de tels accords. Viennent ensuite les négociations, pour lesquelles nous disposons d’une très large marge de manœuvre. Au moment de formaliser l’engagement, l’Etat reprend les rênes, notamment virtuellement et juridiquement car c’est la France qui s’engage à travers notre signature et non pas la Nouvelle-Calédonie. Dans la mesure où nous respectons les engagements internationaux de la France, nous sommes autonomes en termes d’opportunités, d’initiatives et de contenus. Toute proportion gardée, le SCREE est un petit ministère des Affaires étrangères d’un Etat qui n’en n’est pas un.

 

A 16 personnes, nous sommes plus importants que des administrations des Affaires étrangères de certains pays du Pacifique comme par exemple l’archipel des Tuvalu ou les Îles Cook. Nous sommes quasiment aussi lourds que le ministère des Affaires étrangères du Vanuatu. Puisque nous sommes placés sous l’autorité directe du président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie qui porte la politique étrangère régionale et internationale, il est en quelque sorte notre ministre des Affaires étrangères.

 

Le SCREE organise son action autour de quatre pôles principaux : la coopération bilatérale, les Affaires européennes, le pôle multilatéral et la coopération économique. Pourriez-vous nous éclairer sur le rôle de chacun de ces pôles à travers des exemples de missions ?

 

Le premier pôle est celui de la coopération bilatérale. Il est chargé de l’administration de plusieurs fonds de coopération – des enveloppes financières qui font partie du budget accordé à la Nouvelle-Calédonie par le gouvernement – qui permettent de financer des projets de développement. Je pense notamment au co-financement avec l’Agence Française de Développement (AFD) de la première université du Vanuatu. Nous avons financé les deux premiers tiers du projet et l’AFD le dernier tiers. Nous pouvons également financer des opérations humanitaires, en cas de catastrophes naturelles, mais aussi des projets dans le secteur de la santé. Le pôle bilatéral peut aussi organiser, en coopération avec d’autres pôles selon la nature du déplacement, les visites officielles du gouvernement dans les pays de la zone.

 

Le second pôle est dédié aux Affaires européennes. Une de ses activités principales est la coordination de la mise en œuvre de projets européens en Nouvelle-Calédonie, notamment ceux pilotés par le Fonds Européen de Développement (FED). Si ce dernier finance majoritairement des projets en Afrique, une part de son budget est consacrée à la région du Pacifique. Il y a aussi une petite part pour les Pays et territoires d’outre-mer[1] (PTOM) et les Pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique[2] (ACP). L’enveloppe que nous attribue le FED pour le financement de nos politiques publiques est souvent très modeste. C’est l’équivalent, dans un format réduit, du FEDER[3](Fonds Européen de Développement Régional). Même si la Nouvelle-Calédonie ne fait pas partie juridiquement et formellement de l’Union Européenne, elle bénéficie cependant des aides du FED.

 

Le troisième pôle traite les sujets de coopération économique et de commerce extérieur : c’est le pôle responsable de la gestion des négociations commerciales avec les pays de la zone comme les négociations des tarifs douaniers. Il organise également la coordination des services de douanes de la région. Il s’agit aussi de l’organisation des missions de diplomatie économique du gouvernement. Le mois dernier, nous nous sommes rendus en Papouasie-Nouvelle-Guinée avec une délégation de 20 chefs d’entreprise et plusieurs ministres du gouvernement de Nouvelle-Calédonie. Notre diplomatie économique est donc vraiment gérée comme celle d’un Etat.

 

Le dernier pôle est le pôle multilatéral. C’est le plus conséquent en terme de quantité de travail car il œuvre à la coordination de l’ensemble des pôles. Il a aussi une fonction de représentation. Si nous ne sommes pas membre de l’ONU, nous appartenons à une dizaine d’organisations internationales dont des agences de développement comme la Communauté du Pacifique[4] (CPS) et l’Organisation internationale de la Francophonie[5] (OIF). Nous sommes maintenant membre associé à l’UNESCO. Notre mission est d’exister au sein de ces organisations et cela demande beaucoup de travail.

 

Le SCREE intervient-il dans les domaines de la sécurité et de la défense ? Si oui, à quel niveau ?

 

Je dirais que le SCREE intervient dans ce domaine mais de manière indirecte, à travers sa mission humanitaire de défense et son implication dans la sécurité civile. Nous sommes très souvent mobilisés dans la cadre d’une réaction post-crise telle que l’on en rencontre en cas de catastrophes naturelles comme les cyclones. Nous travaillons alors en coordination avec les Forces Armées de Nouvelle-Calédonie qui mettent les moyens de projection nécessaires à disposition tandis que nous fournissons les moyens humains et financiers. Nous avons par exemple organisé l’évacuation définitive de 10 000 habitants du centre du Vanuatu à cause du volcan d’Ambae, en éruption depuis maintenant plusieurs mois. C’est un événement majeur car nous devons assister ces réfugiés climatiques en aménageant de nouveaux espaces de vie dont la construction résulte de plans urbanistiques.

 

Ce soir (20 août 2018), nous dépêchons sur place un CASA[6] avec à son bord des agents de sécurité civile et des médecins. Nous sommes ainsi mobilisés conjointement avec l’armée pour répondre à des crises humanitaires qui sont à mon sens, des actions appartenant au domaine de la défense civile.

 

Ensuite, sur le plan multilatéral, le Forum des Îles du Pacifique est une organisation politique dont nous sommes membres depuis 2016 et qui traite de questions de défense comme celle de la stabilité régionale. Nous sommes donc amenés à réfléchir et à débattre sur ces sujets sans toutefois en avoir la compétence puisque c’est l’Etat est maître de sa politique de défense. Nous nous situons à la charnière entre aide humanitaire et sécurité civile mais nous ne sommes aucunement impliqués dans des questions concernant l’ordre publique ou encore la lutte contre la criminalité transfrontalière par exemple.

 

Ces opérations sont-elles effectuées en coopération avec la Communauté du Pacifique ?

 

Non, pas du tout. La Communauté du Pacifique[7] (CPS) n’intervient que très rarement dans des situations d’urgence humanitaire. Son action s’inscrit dans le temps long et demande souvent la mobilisation de certains experts. C’est vraiment la France, la Nouvelle-Zélande et l’Australie, dans le cadre de l’accord FRANZ[8], qui sont les plus réactifs dans le Pacifique. Il arrive aussi que les Etats-Unis interviennent.

 

II – La Nouvelle-Calédonie face aux enjeux sécuritaires

 

Quelle est la place de la Nouvelle-Calédonie en tant que territoire français dans le Pacifique ?

 

Sa place est essentielle car, avec la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie représente la France dans la zone. En tout et pour tout, il s’agit de 600 000 habitants si l’on exclut les expatriés australiens et néozélandais.

 

Les forces armées ne sont pas négligeables puisque, comme l’a rappelé Emmanuel Macron à Sydney[9], 4000 militaires sont déployés dans la zone, 8000 au total si l’on inclut La Réunion. Même si nous sommes très loin de la base américaine de Pearl Harbor à Hawaï, de la présence australienne ou encore de la force de frappe néozélandaise – non-négligeable par ailleurs – qui sont bien plus importantes que la puissance française dans la région, nous restons un acteur clé de la zone.

 

Notre présence est particulièrement nécessaire dans la zone polynésienne ou encore lorsque l’on se rapproche de l’Amérique Latine avec par exemple l’Île Clipperton qui est dans le champ d’action de la base de Papeete. Si nous agissons souvent dans les mêmes zones, les moyens navals des Forces Armées de Nouvelle-Calédonie sont mobilisés sur tous les fronts d’opération internationaux. D’ailleurs, il n’y a pas eu une seule opération internationale ou régionale maritime dans laquelle la France ne se soit pas engagée. Cette systématisation de l’engagement est primordiale pour assurer l’influence française en matière de défense et de sécurité.

 

Il est de notoriété commune au sein de l’Etat-major que l’Australie et la Nouvelle-Zélande comptent vraiment sur le soutien de la défense française même si celle-ci est bien plus modeste dans la région que leurs arsenaux de défense respectifs. Ce sont souvent les trois ou quatre navires supplémentaires fournis par les FANC qui peuvent faire la différence, et permettent d’opérer sans le soutien américain.

 

A quelles menaces d’ordre sécuritaire la Nouvelle-Calédonie est-elle confrontée ?

 

Celle qui me paraît la plus vive, et qui est d’ailleurs partagée par l’ensemble de la zone, est la pêche illicite. Par illicite, je veux dire illégale, non déclarée à la communauté et fortement préjudiciable. Le phénomène a pris beaucoup d’ampleur avec la présence régulière des blue boats. A leur bord, on trouve des agriculteurs des hauts plateaux vietnamiens qui rejoignent les ports en temps de grande sécheresse. Ils acceptent alors, pour subvenir aux besoins de leurs familles, d’embarquer sur ces demi-chalutiers, et vont piller la partie supérieure du Pacifique. Ils sont surtout à la recherche de concombres de mer qui ont une forte valeur ajoutée en Asie. Maintenant que la sécheresse est passée, les blue boats sont bien moins nombreux mais nous ne sommes pas à l’abri d’une résurgence d’un tel phénomène.

 

Une autre menace, très ponctuelle cette fois-ci mais en forte croissance, c’est le trafic de stupéfiants. Il a augmenté de 117% en l’espace de trois ans seulement. La Nouvelle-Calédonie se trouve sur la route de nombreux trafics, comme le trafic de cocaïne entre l’Amérique Latine, l’Amérique Centrale et l’Australie.

 

Bien entendu, la prise de possession par la Chine des Etats et territoires du Pacifique constitue une menace plus insidieuse. On voit bien que la menace ne se limite pas seulement aux Etats insulaires puisque la Nouvelle-Zélande est obligée de prendre des mesures interdisant l’accession à la propriété pour les étrangers, tant les investisseurs chinois s’approprient le secteur immobilier néo-zélandais. Pour l’instant, il ne s’agit à priori que d’immigration et d’investissements financiers mais cela n’est pas sans conséquences : l’économie de ces pays est complètement dépossédée et la population locale souffre de cette concurrence déloyale. Si je considère cela comme une menace d’ordre sécuritaire, c’est parce que des Etats qui perdraient leur souveraineté économique, et donc politique, ne seraient plus que des semi-protectorats chinois, dans une zone où le mode de fonctionnement économique, social, politique et écologique chinois n’est pas viable. Malheureusement, ces territoires paraissent vulnérables et incapables de se défendre face à cette mainmise de la Chine sur leurs ressources.

 

Enfin, certaines menaces sont ponctuelles et hypothétiques, car difficiles à anticiper. Dans le Pacifique Nord, la Corée du Nord et la menace intense qu’elle fait notamment peser sur l’île de Guam suscitent notre inquiétude. La pollution marine ne cesse de s’accroître alors que se multiplient les accidents de porte-containers. Par exemple, il y a deux mois[10] un porte-container a heurté un récif dans les îles Tuamotu, en Polynésie française. Fort heureusement, le bateau en question n’était pas un pétrolier mais cela n’a pas empêché les dégâts. Ces accidents sont très souvent liés à des erreurs de navigation et de pilotage.

 

Au cours du Forum des îles du Pacifique de 2018, tous les membres de la CPS vont adopter la déclaration de « Boé[11] », texte qui a vocation à intégrer dans les notions de sécurité et de stabilité de nouvelles questions telles que les enjeux écologiques ou encore l’insécurité alimentaire. Cela représente finalement un changement de paradigme dans la manière dont est abordée la question de la sécurité dans sa globalité dans le Pacifique.

 

Comment la Nouvelle-Calédonie a-t-elle vécu les attentats terroristes qui ont frappé la métropole ces dernières années ? L’état d’urgence était-il aussi en vigueur sur votre territoire ? Quelle est l’opinion majoritaire au sein du gouvernement de la Nouvelle- Calédonie concernant les mesures prises par le gouvernement français pour lutter contre le terrorisme ?

 

Les répercussions ont été les mêmes qu’en métropole. Vigipirate a été déclenché à son niveau maximum, étant donné que ce type de mesure s’applique sur l’ensemble du territoire de la République. Une attention particulière a été portée aux lieux de culte comme à la Synagogue de Nouméa et la Mosquée de Bourail, où les patrouilles se sont multipliées.

 

Nous avons une communauté musulmane importante en Nouvelle-Calédonie avec notamment plus de 4000 Indonésiens (pour une population totale de 300 000 habitants), dont la plupart proviennent de l’île de Java et sont musulmans pratiquants. L’existence même de cette communauté implique donc un risque de rencontrer des personnes plus radicales que d’autres puisque tout passe désormais par internet. Il serait faux de penser que la Nouvelle-Calédonie sera toujours épargnée. Jusqu’ici, deux cas de radicalisation ont été identifiés et maîtrisés. Nous sommes entourés par des pays où le terrorisme a déjà frappé, comme l’Australie, victime de plusieurs attentats ces dernières années, le dernier en date étant l’attentat à la voiture bélier qui a fait 19 blessés à Melbourne en décembre 2017. Tout comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande voit se développer un phénomène de radicalisation qui touche une petite partie de sa communauté musulmane. Si nous sommes loin d’être le territoire le plus à risque, la menace est quand même prise au sérieux et Vigipirate appliqué comme en métropole.

 

III – La Nouvelle-Calédonie : entre autonomie et indépendance

 

Si la Nouvelle-Calédonie devenait indépendante, aurait-elle les moyens financiers et humains d’assurer sa propre sécurité ?

 

Je pense que oui. Les moyens humains mis au service de la sécurité en Nouvelle-Calédonie sont bien plus conséquents que dans des territoires souverains de taille équivalente. Par exemple, les Îles Salomon comptent 600 000 habitants, soit deux fois plus qu’en Nouvelle-Calédonie, et pourtant, leurs forces de sécurité sont dix fois moins nombreuses que les nôtres. C’est encore plus dramatique au Vanuatu, où le nombre d’habitants est similaire au nôtre et où la police, embryonnaire, ne peut même pas s’appuyer sur les forces armées car celles-ci sont tout simplement inexistantes. Si la Nouvelle-Calédonie devenait indépendante, nous serions donc le troisième territoire le mieux protégé de la région après l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Cela ne m’étonnerait d’ailleurs pas qu’en proportion rapportée au nombre d’habitants, la Nouvelle-Calédonie soit en fait le territoire le plus sécurisé de la zone, du fait de nos 2000 militaires, 700 gendarmes et 200 policiers.

 

Quelles seraient les conséquences pour la place de la France dans le Pacifique si le territoire devenait indépendant ? 

 

Pour la France, déjà, cela représenterait un gain économique non-négligeable. Regardons la réalité en face. Aujourd’hui, la Nouvelle-Calédonie reçoit de la part de l’Etat entre 1,3 et 1,5 milliard d’euros selon les années – ce chiffre est à peu près stable. Nous ne sommes pas le territoire qui coûte le plus cher mais nous sommes les plus autonomes, et pourtant, l’enveloppe que nous recevons est très fournie. Il faut savoir que les habitants de Nouvelle-Calédonie ont un privilège énorme : ils payent leurs impôts au gouvernement de Nouvelle-Calédonie et l’argent qu’ils reçoivent de l’Etat français provient des impôts payés par les métropolitains. La France économiserait donc une somme importante et rapatrierait de nombreux fonctionnaires tels que ceux travaillant à la défense ou à la justice pour les déployer en métropole. L’impact économique, si je puis dire, serait donc positif, même si l’Etat perdrait tout ce qu’il investit en terme d’infrastructures et de dotations aux collectivités.

 

En revanche, les conséquences géostratégiques seraient, à mon avis, négatives. La Nouvelle-Calédonie, associée à la Polynésie, permet à la France d’avoir une visibilité dans la zone Pacifique, gage de son influence économique et stratégique. D’ailleurs, l’influence européenne en pâtirait aussi. Sans oublier notre ZEE ! La Calédonie et la Polynésie, en représentant 7 millions de kilomètres carrés sur un total de 11, sont indispensables. Alors qu’elle est aujourd’hui la 2e puissance maritime mondiale, la France se trouverait rétrogradée à la 15e voir à la 20e place.

 

En cas d’indépendance, la France conserverait-elle les mêmes relations avec les autres états du Pacifique ? Notamment en termes de coopération militaro-stratégique ?

 

Oui, puisqu’elle aurait toujours Wallis & Futuna et la Polynésie, mais les relations seraient moins intenses car elle perdrait cette proximité, cette contiguïté qu’offre la Nouvelle-Calédonie. Nous sommes le voisin le plus proche de la Nouvelle-Zélande par exemple. L’Etat souverain le plus proche de l’île de Pâques est aussi la France, à travers la Polynésie. Les gens n’en n’ont pas une seule seconde conscience et pourtant c’est la réalité ; de ce point de vue nous sortirions évidemment perdants.

 

D’autres relations se trouveraient forcément altérées. La France ne serait plus aussi proche géographiquement de l’Australie. Elle en serait certes toujours proche du côté de l’Océan Indien, mais cela n’est pas comparable car il s’agit de terres australes insulaires – les îles Kangourou en l’occurrence.

  

 La France retirerait-elle ses forces armées ?

 

Je pense que la Nouvelle-Calédonie essaierait de négocier une base militaire sur le modèle de Djibouti, ne serait-ce que pour assurer sa propre sécurité tout en restant souveraine. L’armée en Nouvelle-Calédonie joue aussi un rôle dans l’aménagement du territoire : les régiments sont implantés dans des zones reculées où il faut créer de l’économie. Je pense que la base aérienne et la base navale resteront mais que le Régiment d’Infanterie de Marine du Pacifique Nouvelle-Calédonie (RIMaP-NC) disparaîtra. Ce dernier n’est pas fixe : il est composé de sections et de compagnies d’autres métropoles avec un roulement tous les 4 mois. Cela est très pratique pour se projeter en cas de crise : par exemple, en cas de catastrophe naturelle, le génie peut être mobilisé.

 

 

SOURCES ET REFERENCES : 

 

[1] Les Pays et territoires d’outre-mer (PTOM) désignent les territoires d’outre-mer des membres de l’Union Européenne dont les statuts sont régis au cas par cas dans le Traité de l’Union Européenne (TUE).

[2] Les Pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) désignent 79 Etats dont la coopération a été institutionnalisée par l’Accord de Georgetown en 1975. L’organisation a son siège à Bruxelles et dispose du statut d’observateur à l’ONU.

[3] « Le Fonds européen de développement régional (FEDER) a pour vocation de renforcer la cohésion économique et sociale dans l’Union européenne en corrigeant les déséquilibres entre ses régions », http://ec.europa.eu/regional_policy/fr/funding/erdf/.

[4] La Communauté du Pacifique est une organisation internationale d’aide au développement crée en 1947 et comptant 26 Etats et territoires membres.

[5] L’Organisation internationale de la Francophonie, fondée en 1967, regroupe 56 Etats et gouvernement membres ainsi que 26 pays observateurs. Son rôle premier est la promotion de la langue française.

[6] Avion de transport tactique Airbus, basé à l’escadron de transport 52 de la Tontouta, près de l’aéroport international de Nouvelle-Calédonie.

[7] Organisation internationale apolitique oeuvrant pour le bien-être des populations d’Océanie. Cette organisation comprend la France, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les Etats-Unis et les 22 états insulaires du Pacifique.

[8] Accord de coopération tripartite conclu entre la France, l’Australie et la Nouvelle-Zélande en 1992 dans le but de : « coordonner et de rationaliser l’aide civile et militaire aux États et territoires du Pacifique insulaire victimes de catastrophes naturelles ».

[9] « Déclaration de M. Emmanuel Macron, Président de la République, en hommage aux soldats australiens de la Première guerre mondiale et de la Deuxième Guerre mondiale, à Sydney le 2 mai 2018 ».

[10] Le 24 juin 2018

[11] La « Déclaration de Boé » a été signée le 5 septembre sur l’île de Nauru par l’ensemble des membres de la CPS à l’issue du 49e Forum des îles du Pacifique. Elle porte notamment sur des thématiques telles la lutte contre les trafics, la pêche illégale ou encore la bonne gouvernance ».

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