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La tragi-comédie des élections camerounaises.
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Dimanche 7 octobre, près de 6.6 millions d’électeurs étaient appelés aux urnes pour élire, dans un contexte de crise sécuritaire, un président parmi 8 candidats, dont Paul Biya, à la tête du pays depuis trente-cinq ans. Si le temps de la campagne et de l’élection laisse désormais place à celui du dépouillement, on peut d’ores et déjà observer la montée des revendications contradictoires autour du vote. Son déroulement, son contexte, son caractère démocratique et ses conséquences alimentent le débat public, et déjà, nombreux sont les détracteurs qui dénoncent une mascarade au dénouement certain. L’actualité politique camerounaise est en effet marquée ces derniers jours d’un vernis théâtral, qui, exception faite d’un deus ex machina improbable, ne surprend guère les observateurs.

 

L’Etat d’abord, tient le rôle que s’est assigné Biya, en se félicitant du calme et de l’apaisement dont le Cameroun a su faire preuve tout au long du weekend électoral. D’un commun accord, l’Elecam, (institut chargé de réglementer, de surveiller et d’organiser le bon déroulement du scrutin), a appuyé les déclarations du président, en affirmant par la voix de son directeur général, Erik Essoussé, que le scrutin s’est déroulé de “manière régulière” sur la quasi-totalité du territoire. Reste cependant à produire un résultat digne de confiance, par l’entremise dun processus d’analyse irréprochable. Dans cette optique, les 360 antennes communales d’Elecam compilent les procès-verbaux des différents bureaux de vote, pour les envoyer aux 58 commissions départementales de supervisions qui effectuent un décompte, lui-même soumis à la commission nationale de recensement de Yaoundé, qui, enfin, valide les résultats et transmet les derniers procès-verbaux au Conseil Constitutionnel.

 

Or, on peut s’interroger sur la légitimité d’une telle lourdeur administrative lorsque l’on sait que Paul Biya a nommé les onze membres du conseil, dont cinq appartiennent au RDPC, parti actuellement au pouvoir. Si l’acte final promis d’ici le 22 octobre ne semble pas laisser de place à la contingence, on peut néanmoins apprécier les efforts de mise en scène. Le lendemain du scrutin, l’ancien ministre de la justice de Paul Biya et chef de file du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), Maurice Kamto, clamait avec ferveur avoir emporté l’élection, malgré l’absence de résultats provisoires. Qualifié “d’hors la loi” par le gouvernement, il semble avoir préféré haranguer la foule derrière son succès promis, tandis que le benjamin des élections, Cabral Libii, plus sage, a mis l’accent sur les irrégularités du scrutin, et affirme se concentrer sur la collecte des données suspectes afin de saisir ensuite, s’il n’est pas désigné président, la juridiction compétente.

 

Derrière la comédie qui se joue dans le centre du pays, l’Ouest et le Nord camerounais offrent un tout autre registre. Là encore, il ne s’agit pas d’une grande surprise, au regard de la crise sécuritaire qui se joue entre la communauté anglophone et l’armée. Des affrontements ont émaillé les élections : à Buea, épicentre des crispations, on relève l’attaque d’une voiture de sous-préfet ; à Bafut, un bureau de vote a été pris d’assaut tandis que Bamenda cristallisait la présence des “Amba-boys”, venus défendre la jeune Ambazonie contre cette élection jugée illégale. En conséquence, Elecam affirme avoir divisé par trente le nombre de bureaux de vote dans la région Nord-Ouest, tandis qu’Hans De Marie Heungoup, membre du International Crisis Group (ICG) évoque un taux de participation inférieur à 5% dans ces régions (notons quaucun chiffre officiel n’est disponible à ce jour). Fidèle à son rôle, Erik Essoussé souligne que le fort taux d’abstention s’explique par la présence des indépendantistes semeurs de troubles.

 

Pour autant, à en croire l’envoyé spécial Cyril Bensimon, qui livre une enquête de fond pour Le Monde[1] sur la place des populations anglophones dans les élections présidentielles, on ne peut réduire le phénomène d’abstention à la seule volonté indépendantiste. La population semble prisonnière d’un huis clos où s’oppose violemment l’armée et les « Amba-boys », obligeant les familles à rester cloitrées chez elles, indépendamment du vote en cours. Buea, ville désertée par ses habitants lors du weekend électoral, laisse ainsi place à un champ de bataille où “épaves de voitures calcinées”, “douilles de gros calibre sur la chaussée” et “maisons abandonnées”[2] traduisent l’arrière fond quotidien d’un conflit devenu guerre silencieuse.

 

Malgré les dix-sept recours déposés pour “irrégularités” et la requête en annulation partielle des opérations électorales des résultats issus des zones anglophones par Maurice Kamto que doit observer le conseil constitutionnel dici le 20 octobre, les autorités camerounaises ne semblent pas prendre la mesure de la tragédie qui se joue. Si, comme escompté, Paul Biya est élu, les séparatistes anglophones risquent de renforcer leur posture face à un nouveau président porté au pouvoir par les votes de l’Est et du centre du pays indépendamment des communautés anglophones, isolées une fois encore de l’appareil d’Etat.

 

SOURCES :

[1] Les anglophones du Cameroun pris entre les feux de l’armée et des séparatistes, Cyril Bensimon, Le Monde Afrique, édition du 13/10/18

[2] Ibid

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