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L’alliance nippo-américaine, pilier de l’identité stratégique japonaise
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Par Gauthier Birkui

L’ancrage constitutionnel du pacifisme nippon

L’occupation militaire américaine du Japon offre un exemple unique de reconstruction réussie d’un pays développé par un autre. C’est en effet pendant ces sept années (1945-1952) qu’ont été posées avec succès les bases ayant permis le développement de l’archipel sur fond de transformations sociétales, de « miracle économique » et d’ancrage, dans l’esprit de la population, d’un solide pacifisme.

La nouvelle constitution japonaise élaborée par le général MacArthur et acceptée par la Diète est sans doute le plus évident des legs de cette occupation américaine. Entrée en vigueur le 3 mai 1947, celle-ci fait perdre à l’empereur tout pouvoir politique, instaure un régime parlementaire dans la continuité de l’expérience démocratique des années 20 et affirme à l’article 9 que « le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation » et qu’« il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes, ou autre potentiel de guerre » au Japon.

L’alliance nippo-américaine et la création des forces japonaises d’autodéfense

En 1952, ayant officiellement reconquis son indépendance, le pays se trouve donc dans l’incapacité d’assurer sa propre défense dans un contexte asiatique marqué par le chaos de la guerre froide. La signature d’un traité mutuel de sécurité avec l’allié américain s’impose alors comme une solution naturelle pour permettre à l’archipel de se consacrer à son développement économique. [1]

Ce traité de sécurité nippo-américain prévoit la présence de bases américaines sur le sol japonais avec pour objectif de garantir la sécurité du Japon et de maintenir la paix en Extrême Orient. Il fut la base de la « doctrine Yoshida », du nom du Premier ministre de l’époque, qui consista pour le Japon à s’aligner sur les positions américaines en matière de politique étrangère afin de se concentrer sur sa croissance.

Alors que la présence de ces bases est de plus en plus mal perçue par la gauche de la scène politique japonaise, le pacte de sécurité est renégocié en 1960 pour inclure l’obligation des Etats-Unis de consulter le Japon avant d’utiliser leurs bases (condition de principe non appliquée de fait). L’article 5 précisant que toute attaque contre l’une ou deux parties sur le territoire japonais donnera lieu à une intervention commune n’est pas concerné par le texte, et c’est sous cette forme que l’on retrouve le traité aujourd’hui.

Parallèlement à la signature du traité, le Japon se dote également d’une police nationale de réserve. Ses effectifs seront augmentés trois ans plus tard et ses composantes terrestres, aériennes et maritimes rebaptisées « forces d’autodéfense », donnant ainsi corps à l’argument maintes fois répété depuis selon lequel la renonciation à la guerre inscrite dans la constitution de 1947 ne concerne pas le droit d’autodéfense du pays.

L’évolution de la politique de défense japonaise

Bien qu’ayant permis au Japon de bénéficier d’une sécurité totale pendant la guerre froide, l’alliance nippo-américaine n’a pas été exempte de critiques de part et d’autre de l’échiquier politique nippon. Entre les communistes préconisant le rapprochement avec l’URSS, les partisans du neutralisme et de la démilitarisation et ceux réclamant la fin de l’alliance, c’est toute la politique de défense du pays qui est remise en question.

Pour le gouvernement, favorable au maintien d’une alliance permettant d’éviter d’onéreuses dépenses militaires, deux préoccupations se détachent rapidement : éviter d’être abandonné (abandonment) ou pris au piège (entrapment) par l’allié américain[2].

C’est sous cet axe, sous-tendu par la volonté de Tokyo d’équilibrer autant que possible son indépendance stratégique avec sa dépendance de l’allié américain, que s’inscrit l’ensemble de la politique de défense japonaise.

Les principes adoptés en 1967 de non production, non détention et d’interdiction d’entrée sur le territoire d’armes nucléaires s’inscrivent ainsi dans une dynamique de distanciation à l’égard de l’activité militaire américaine. A l’inverse, le mouvement de remilitarisation initié dès 1976 vise à faire valoir aux yeux de Washington le rôle majeur que le Japon est amené à jouer dans la stabilisation de la zone Asie-Pacifique et permet de développer les orientations pour la coopération de défense entre les deux pays de 1978, révisées en 1997 puis en 2015. En rompant avec sa tradition antimilitariste Tokyo espère ainsi rééquilibrer et stabiliser durablement sa relation avec son protecteur occidental.

L’alliance aujourd’hui : un mal nécessaire ?

Avec l’affirmation de menaces sécuritaires variées aux portes de l’archipel, adapter l’alliance nippo-américaine à l’équilibre changeant des forces dans la région est aujourd’hui une priorité pour le Japon alors que l’inquiétude liée à l’accession au pouvoir de Donald Trump ne se dissipe que progressivement.[3]

La Corée du Nord s’impose évidemment comme la préoccupation principale du Japon sur le plan sécuritaire pour l’année 2018. Considérée par Itsunori Onodera, ministre de la Défense, comme ayant atteint un niveau « critique et imminente »[4], la menace nucléaire et balistique nord-coréenne ne peut être ignorée par Tokyo qui doit désormais composer avec (encore) une puissance nucléaire voisine à la rhétorique agressive.

A ce titre, le gouvernement s’attelle à assurer la pérennité de l’alliance nippo-américaine, perçue comme la seule alternative à même d’assurer une dissuasion crédible face au régime de Pyongyang. De nombreuses rencontres au sommet ont ainsi été l’occasion de mettre en scène les bonnes relations qu’entretiennent Shinzo Abe et Donald Trump et de réaffirmer l’engagement des Etats-Unis à défendre son allié.

Cependant, ce faisant, le Japon expose son action diplomatique à l’influence de celle du président américain et s’engage donc dans une voie difficile. L’un des risques pour Shinzo Abe est ainsi de voir ses rapports avec la Chine de Xi Jinping se compliquer considérablement alors même qu’un rapprochement est souhaité depuis Tokyo. Le 22 janvier dernier, face à la Diète, Shinzo Abe a en effet fait état de son souhait d’améliorer les relations bilatérales entre les deux pays[5], un message que le ministre des Affaires étrangères Taro Kono a ensuite transmis à son homologue chinois lors d’une visite à Pékin[6].

Mais cette ambition est contredite par la position exprimée dans la dernière Stratégie de Sécurité et de Défense nationale des Etats-Unis dans lesquelles la Chine est identifiée comme un « compétiteur stratégique » dans des domaines allant de l’économie à la mer de Chine méridionale. Il n’y est pas fait mention de conflit armé, mais l’heure n’est pas au rapprochement.[7]

Par ailleurs, alors que le Japon s’engage résolument dans la voie de la « contribution proactive à la paix » et souhaite faire mentionner ses forces d’auto-défense dans sa constitution, la tendance isolationniste américaine laisse présager une réduction des marges de manœuvre de Tokyo qui aura besoin de toute la crédibilité de l’allié américain pour légitimer son réarmement en l’inscrivant au sein de l’alliance entre les deux pays.

Préserver l’autodétermination stratégique de l’archipel dans le cadre d’un renforcement de l’alliance nippo-américaine promet donc d’être une tâche délicate pour Sinzo Abe.

[1] REISCHAUER Edwin, Histoire du Japon et des Japonais .2. De 1945 à nos jours, Points, « Pts Histoire », 2014, 320p

[2]DELAMOTTE Guibourg, Le monde vu d’Asie : Chine, Inde, Japon, Philippe Picquier, Picquier poche, 2014, 156p, p.115

[3] Céline PAJON, (dir) , John SEAMAN, Françoise NICOLAS, Alice EKMAN, « L’alliance nippo-américaine à l’horizon 2030 : Structure, dynamique, évolution », IFRI, Février 2016

[4] https://www.reuters.com/article/us-asia-mattis-japan/north-korea-threat-is-critical-imminent-japan-tells-u-s-south-korea-idUSKBN1CS18K

[5] https://mainichi.jp/english/articles/20180122/p2g/00m/0dm/067000c

[6] https://thediplomat.com/2018/01/taro-konos-china-visit-paves-the-way-for-a-china-japan-south-korea-summit/

[7] YUKI Tatsumi, « Japan’s Diplomacy Hit the Ground Running in 2018 », The Diplomat, Février 2018

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