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Vers la création d’une force spatiale ?
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Au cours d’une réunion à la Maison-Blanche avec le Conseil National de l’Espace, le président Trump a ordonné au Pentagone de procéder à la création d’une sixième branche des forces armées en charge des opérations dans l’espace exo-atmosphérique, soulignant que les Etats-Unis devaient occuper une position de domination dans ce domaine stratégique. Cette politique impliquerait de rendre indépendantes les composantes spatiales aujourd’hui intégrées aux autres armées, et principalement à l’US Air Force. Néanmoins, la traduction empirique de cette requête présidentielle risque de s’avérer longue et complexe tant la proposition soulève de nombreux problèmes.

 

Le premier d’entre eux est politique, puisque, dans les faits, la création d’une nouvelle branche des forces armées requiert l’aval du Congrès, seul dépositaire d’un tel pouvoir, comme cela avait été le cas en 1947 avec la création de l’USAF. Or cette prérogative ne transparaît pas dans les directives de Donald Trump : « Par la présente, j’ordonne […] au Département de la Défense de commencer dès à présent le processus nécessaire à l’établissement d’une Force Spatiale, sixième branche de nos forces armées », aurait-il annoncé durant le conseil. Depuis cette annonce tonitruante, nombre de voix se sont élevées aux Etats-Unis pour rappeler les prérogatives présidentielles en la matière qui se limitent à la simple commande d’une étude au Pentagone. C’est donc une nouvelle passe d’armes entre la Maison Blanche et le Congrès américain qui s’annonce autour de la question de l’étendue des pouvoirs militaires du président des Etats-Unis. Mais bien plus, cette annonce ne fait pas non plus l’unanimité dans l’environnement gouvernemental, puisque la Secrétaire à l’Air Force Heather Wilson tout comme le Secrétaire à la Défense James Mattis avaient déjà affirmé leur opposition à la création d’une force spatiale indépendante, qui serait en contradiction avec la politique de développement des capacités interarmées des forces américaines. 

 

Le deuxième problème est d’ordre organisationnel, et se trouve nourri par le flou entourant cette annonce. Le nouveau commandement serait-il entièrement indépendant ou serait-il rattaché au Département des Forces Aériennes (de la même manière que les Marines sont rattachés au Departement of Navy) ? Cette question est centrale puisque l’aviation a de tout temps, et pas uniquement aux Etats-Unis, eu à cœur de conserver le domaine spatial sous son égide, au travers du paradigme d’un milieu militaire aérospatial. Encore une fois, le problème redevient une question politique puisque certains membres du Congrès sont aujourd’hui attachés à l’idée de ne pas affaiblir l’USAF. A titre indicatif, la force spatiale représente à l’heure actuelle un contingent de 35 000 personnels au sein même de l’Air Force. La pertinence des velléités spatiales du président Trump doit donc aujourd’hui être relativisée, la force américaine disposant dès à présent d’un personnel et de moyens spatiaux. Dès lors, la constitution d’une force spatiale indépendante nécessite de constituer une théorie, une doctrine et une stratégie propres à ce domaine, alors même que les capacités agressives depuis l’espace sont aujourd’hui limitées. Pour reprendre la typologie de Hervé Couteau-Bégarie (Traité de Stratégie), l’espace confère majoritairement des capacités passives (voir-écouter-communiquer), et bien peu de capacités actives ou agressives. En effet, si la défense spatiale a pu montrer quelques relatives réussites, la possibilité d’une attaque de la Terre depuis l’espace est aujourd’hui techniquement lointaine, si ce n’est dans les fictions d’espionnage. Que ferait alors cette nouvelle force que ne fait déjà la puissance américaine, puissance spatiale des plus importantes ? La question doit être soulevée car le coût exorbitant pour la constitution de cette nouvelle armée, même si aucun chiffre ne peut aujourd’hui être avancé, est problématique dans un budget militaire déjà très serré autours des gros projets de la défense américaine, tel que l’avion F-35 JSF ou le sous-marin nucléaire d’attaque de la classe Virginia. Se retrouve ici le problème politique, le budget étant une autre prérogative et préoccupation du Congrès. 

 

Le dernier problème risque de ramener Donald Trump sur Terre dans les affres de la géopolitique. La Russie a en effet promis une « réponse dure » si jamais la force spatiale américaine devait bien voir le jour, faisant référence au traité de l’espace de 1967. Cependant, ce traité est particulièrement flou, puisque, si l’espace ne doit être utilisé « qu’à des fins exclusivement pacifiques », ceci n’équivaut pas à une démilitarisation de l’espace, comme le note Hervé Couteau-Bégarie (seules les armes nucléaires sont expressément exclues de l’espace). Dès lors, une nouvelle course aux armements pourrait voir le jour. Et c’est au fond la conséquence la plus directe de de l’annonce de Donald Trump. Comme le rappelle Hervé Couteau-Bégarie à propos de la Guerre Froide, « il ne semble pas que les Etats-Unis […] aient jamais atteint une telle capacité [space denial]. […] celle-ci aurait été contradictoire avec leur volonté de prévenir une ascension aux extrêmes aboutissant au déclenchement d’une frappe nucléaire généralisée. […] C’est cette raison, plus que les considérations techniques ou budgétaires, qui a freiné le développement de systèmes agressifs destinés à acquérir la maîtrise de l’espace » (ibid, p. 1018).  La sagesse stratégique avait donc triomphé, subordonnant les capacités techniques à la volonté politique. En sera-t-il de même demain ?

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