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Corée du Nord : la trêve et l’incertain
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(…) Mais si le favori en ce commun repos 
Doit avoir désormais le temps plus à propos 
D’accuser l’innocent, pour lui ravir sa terre :
Si le fruit de la paix du peuple tant requis 
À l’avare avocat est seulement acquis : 
Trêve, va-t’en en paix, et retourne la guerre.

 

Joachim du Bellay, Les Regrets, sonnet CXXVI

Par François Gaüzère-Mazauric et Jean Galvé

 

Le samedi 21 avril, Kim Jong-Un annonçait l’arrêt par la Corée du Nord des essais nucléaires, des tirs de missiles balistiques, et la fermeture du site de Pyunggye-ri, dans le Nord-Est du pays ; ce site avait hébergé la quasi-totalité des essais nucléaires Nord-Coréens. Selon les déclarations du Dirigeant Suprême,  « Le site d’essais nucléaires du Nord a rempli sa mission ». « Comme le caractère opérationnel des armes nucléaires a été vérifié, il n’est plus nécessaire pour nous de mener des essais nucléaires ou de lancer de missiles à moyenne et longue portée ou ICBM » a-t-il ajouté à l’occasion d’une réunion du Comité central du Parti du Travail.

 

La soudaineté de cette annonce, dont Donald Trump n’a pas manqué de se réjouir dans un de ses tweets, paraît en premier lieu substituer au grondement des armes le fracas de la paix.

 

Mais la temporalité de ces déclarations est tout sauf anodine ; rendues publiques peu avant la probable rencontre entre Donald Trump et Kim Jong-Un, prévue au début du mois de juin et préparée par une visite de Mike Pompeo à Pyongyang pendant le week-end de Pâques, elles font davantage figure d’un atermoiement tactique que d’une volonté nord-coréenne d’étreindre ses anciens ennemis après avoir si longtemps souhaité les abattre.

 

A quels objectifs stratégiques répond donc cette annonce porteuse d’espoir ?

 

Il est, pour répondre, nécessaire de rappeler certains éléments de la doctrine nucléaire Nord-coréenne ; si sa formulation n’est, à des fins de mystification, pas aussi claire que celle des autres puissances, le texte qui se rapproche le plus d’un exposé de doctrine est la Loi pour le renforcement du statut de puissance nucléaire de la République Démocratique Populaire de Corée ; adoptée le 1er avril 2013 par l’Assemblée Suprême du Peuple, cette loi envisage la possibilité d’une frappe en premier ; du reste, elle ne distingue pas, parmi les menaces envisagées, les attaques nucléaires et les attaques conventionnelles, pas plus qu’elle ne distingue les cibles militaires et les cibles civiles. Le texte faisait donc planer un risque maximal d’escalade nucléaire.

 

Par ces menaces souvent réitérées, Pyongyang répondait à la doctrine américaine qui n’excluait pas non plus de frappes préemptives sur la Corée du Nord ; le 9 mars 2016, Kim Jong-Un, relayé par Rodong Shinmun, déclarait que “la doctrine de frappes préemptives n’est pas le monopole des Etats-Unis” ; l’organe officiel du Parti du Travail ajoutait le 4 avril 2016 “le seul moyen de neutraliser les Etats-Unis par surprise est une frappe préemptive“.

 

Cette doctrine de l’escalade asymétrique (Vipin Narang) visait à dissuader des frappes conventionnelles, dans un mélange de déni et de représailles ; elle promettait l’usage du nucléaire dès les stades préliminaires d’une guerre.

 

Toutefois, nul effet d’annonce ne pourrait faire oublier que la possibilité d’un conflit nucléaire avec les Etats-Unis ferait du plus volontariste des Etats souverains un fou, un joueur, ou un calculateur retors. La crédibilité stratégique voudrait que la Corée du Nord, pour favoriser son développement économique et son intégration diplomatique, abandonne son inquiétante doctrine de frappe préemptive pour une capacité de frappe en second, en transformant un paradigme de menace en un paradigme de dissuasion ; il lui faudrait pour cela développer la survivablité de son arsenal, afin de se prémunir contre une frappe de décapitation sur ses capacités nucléaires.

 

Dans ce contexte, le président Moon Jae-In, renouant avec la sunshine policy, avait proposé, dans un discours symboliquement prononcé à Berlin le 7 juillet 2017, la Korean Peninsula Peace Initiative. Cette posture se fondait sur quatre interdits : pas d’usage de la force, pas de souhait d’effondrement ou de changement du régime, pas d’unification résultant d’une absorption, et pas d’unification artificielle.

 

Du reste, le président Trump, ayant constaté l’inefficacité des sanctions sur le processus de paix, ne disposait plus que de deux alternatives : la reprise du dialogue – finalement choisie – ou la fureur guerrière. Dans un temps où le paradigme nucléaire nord-coréen devait muer pour survivre, voilà que les éternels ennemis offraient à Pyongyang une issue inespérée.

 

Comment dès lors analyser les récentes annonces?

 

D’abord, le régime de Pyongyang, depuis qu’il a en 2012 fait inscrire son statut de puissance nucléaire dans la constitution, semble avoir renoncé à faire de son développement nucléaire une monnaie d’échange dans le jeu des puissances. Ainsi, l’arrêt des essais n’est en aucun cas un prélude à l’arrêt du programme nucléaire Nord Coréen : elle constitue davantage un “moratoire sur les essais” que leur “arrêt de mort” selon Christopher Green, chercheur à l’International Crisis Group.

 

Par ailleurs, nous apprenions au début du mois d’avril que la Corée du Nord semblait continuer à renforcer son réacteur à eau légère de Yongbyon, à 100 kilomètres au Nord de Pyongyang : la construction d’un nouveau bâtiment dans les environs du réacteur, détectée le 30 mars dernier par l’institut 38th North, si elle ne semble pas liée à une activité essentielle du centre, ne peut signifier autre chose. Le statut du réacteur, qui avait été arrêté au terme d’un accord cadre ratifié en 1994 avec l’administration Clinton, et relancé en 2008, ne semble donc pas concerné par les propos de Kim Jong-Un.

 

Peut-être le centre d’essais de Pyungyye-Ri a-t-il, selon les mots de Kim Jong-Un, véritablement “rempli ses objectifs“. Dès lors, la poursuite des essais serait une folie politique, qui aurait pour seul effet de renforcer l’asphyxie économique d’un régime à bout de souffle, et de conduire à une cristallisation des menaces. Au contraire, l’arrêt des essais permettrait au régime de tourner ses regards vers le développement économique, désormais garanti par un appareil de défense opérationnel. Toutefois, la viabilité des capacités nucléaires nord-coréennes, dans l’hypothèse d’un conflit avec les Etats-Unis, la Corée du Sud, ou le Japon, continue de soulever des doutes sérieux. Dès lors, on pourrait penser que ce geste de détente, le programme nucléaire nord-coréen eût-il ou non atteint un cap, profite d’un contexte d’ouverture pour raffermir une diplomatie qui, pour sa survie, ne peut plus miser sur le seul outil militaire.

 

L’offensive diplomatique nord-coréenne, si elle réussit, pourrait devenir un cas d’école de réalisme en relations internationales. Si le statut de puissance nucléaire dotée de capacités balistiques de la Corée du Nord ne fait plus l’objet de doutes, la comparaison économique avec son frère ennemi reste cruelle. Le poids de l’appareil militaire et des sanctions économiques internationales creusent un retard de développement que le Dirigeant Suprême – qui a grandi en Occident – ne peut ignorer.

 

L’offensive de charme enclenchée sur la scène extérieure, au moment où précisément l’échec des réactions occidentales dans le domaine du nucléaire est patent, place la Corée du Nord et son dirigeant en position de force. Il ne s’agit plus de négocier une intervention humanitaire en échange de promesses de désarmement ; il s’agit désormais pour Kim Jong-Un d’intégrer son Etat dans le jeu des puissances.

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