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La Coopération Structurée Permanente : vers une autonomie stratégique européenne?
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La Coopération Structurée Permanente : vers une autonomie stratégique européenne?

Par François Gaüzère-Mazauric et Jean Galvé

Le 12 mars 2018

 

L’adoption, le 6 mars 2018, de 17 projets concernant la Coopération Structurée Permanente – disposition prévoyant la possibilité d’une coopération entre les Etats européens dans le domaine de la défense – pourrait être un moment historique ; à l’heure où les crispations nationalistes font trembler l’Union, voici qu’un an après avoir été annoncée, l’Europe de la défense, serpent de mer du traité de Lisbonne, grand mot qui semblait relégué dans le ciel des idées, prend une tournure concrète.

 

Les ministres de la défense de 25 Etats – les 28 Etats membres moins le Royaume-Uni, Malte et le Danemark – ont prévu, parmi d’autres propositions juridiquement contraignantes, un commandement médical européen, un centre stratégique de commandement et de contrôle des opérations, ou encore des unités de réponse rapide en cas de cyber-attaque. Le dispositif sera contrôlé par le Conseil Européen ; toutes les décisions seront prises à l’unanimité, excepté celles concernant la révocation ou l’acceptation de nouveaux membres, prises à la majorité qualifiée.

 

Dans ce nouveau cadre institutionnel s’entrelacent un projet politique, un pragmatisme économique, et une vision stratégique ambiguë. Un projet politique, car la défense, sanctuaire de la souveraineté des Etats, fait partie des ultimes leviers envisagés pour relancer l’Europe politique. Un pragmatisme économique, car cette coopération, en renforçant les synergies et l’interopérabilité, permettra d’optimiser les coûts de chaque pays en matière de défense, de même que l’efficacité de certaines réponses – en matière de cybersécurité par exemple.

 

Mais la vision stratégique de cette Coopération Structurée Permanente semble encore indéterminée : si, comme l’a affirmé le président Macron le 19 janvier dans ses voeux aux Armées, “il ne s’agit pas de concurrencer l’OTAN, mais de réunir les conditions de l’autonomie stratégique de l’Europe“, une telle autonomie ne s’en ferait pas moins au détriment de l’influence otanienne. Selon un rapport du 22 février 2018 de la commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale française les relations militaires entre l’Union Européenne et l’OTAN oscillent entre une concurrence à peine voilée – lorsqu’en décembre 2008, l’opération Atalante de lutte contre la piraterie fut lancée par l’Union Européenne dans le Golfe d’Aden, l’OTAN mit derechef en place l’opération Ocean Shield, dotée d’un mandat similaire, et agissant dans la même zone, dès août 2009 – et une coopération fondée sur le partage des actions. A ce jour, l’Europe n’a eu ni la volonté politique, ni les moyens de concurrencer l’OTAN.

 

Le cadre juridique de la coopération entre l’Alliance et l’Union avait d’abord été posé par les accords de Berlin Plus, conclus le 14 mars 2003 ; ils donnaient à l’Europe l’accès à des moyens de l’OTAN (unités de communication ou quartiers généraux par exemple) pour réaliser des opérations qui ne seraient pas dirigées par l’Alliance. C’est sur la base de ces accords qu’ont été lancées les opérations EUFOR Concordia en Macédoine le 31 mars 2003, ou EUFOR Althéa en Bosnie l’année suivante. La coopération entre les deux organisations a ensuite été précisée au sommet de l’OTAN à Varsovie en juillet 2016.

 

Les Etats-Unis pourraient toutefois craindre que la Coopération Structurée Permanente ne fournisse à terme aux Européens un outil idoine d’autonomie stratégique. Souvenons-nous des instances du président Kennedy qui, lors de la signature du traité de l’Elysée en 1963, se montrait soucieux que le préambule intégrât une réaffirmation de l’Alliance Atlantique. L’équilibre des puissances a certes changé, et la fin de la guerre froide a fragmenté les menaces et les camps ; nous assistons toutefois aux premiers balbutiements d’un nouvel outil militaire et stratégique, qui, s’il demeure juridiquement lié à l’OTAN, mentionnée dans l’article 42 du traité de Lisbonne, pourrait ne pas l’être toujours. Comme le conclut le rapport français du 22 février 2018, “à long terme, la question du rôle de l’OTAN dans une Union Européenne devenue autonome pourrait se poser”.

 

De ce premier jalon d’une défense européenne, il serait plus qu’hâtif de conclure à une autonomie stratégique prochaine : l’absence des Britanniques limite la portée du dispositif, et surtout, la Coopération Structurée Permanente devra, pour respecter la règle de l’unanimité, trouver une cohérence entre les menaces au Sud, liées au trafic d’armes, de drogue, et d’êtres humains, et les tensions sur son flanc Est.

 

Prise en étau entre le rêve d’un renforcement politique, qui passe par une mutualisation des moyens en matière de défense, et le cri sépulcral des souverainismes blessés, l’Europe de la défense est pour l’instant drapée dans un puissant symbolisme politique. Nous disons symbolisme, parce que l’armée, en définitive, ne peut exister réellement que si elle est portée par le politique ; faire le politique sans faire l’armée, c’est réduire son champ d’action ; mais faire l’armée avant de créer le pouvoir politique, c’est reléguer l’armée au rang de symbole.

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